Un coup de coeur de Mollat
Thierry Jonquet est un des grands du roman noir français. Ses livres décrivent et dénoncent les maux de notre temps, état des lieux, constat social - à l'exemple de Mon vieux (paru il y a deux ans), terrible histoire sur la descente aux enfers d'un homme pris dans l'engrenage du chômage...
L'actualité rattrape son nouveau titre Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte, écrit avant l'embrasement des banlieues : quelques mois plus tard, les émeutes font la une des journaux télévisés et de la presse. A travers les vies croisées de plusieurs personnages, issus de milieux différents, il met en scène le point de basculement de situations qui tournent au drame, jusqu'à l'inéluctable. Ainsi :
- Adrien Rochas, jeune déscolarisé dont le comportement inquiète sa mère au point d'appeler au secours les services de l'hôpital psychiatrique
- Anna Doblinsky, fraîchement diplômée de l'IUFM, qui appréhende de faire sa première rentrée.
- Lakdar Abdane, élève doué, aspirant à devenir dessinateur, dont l'avenir va virer au cauchemar suite à une bavure médicale.
- Les frères Lakdaoui qui, grâce à une armée de petits dealers, ont la main mise sur la Cité des Grands-Chênes, et qui cherchent aujourd'hui à se faire oublier.
- Boubakar alias le Magnifique, proxénète, qui règne sur la Cité des Sablières.
- L'iman Reziane, dont l'influence à la Cité du Moulin n'est plus à prouver.
- Alain Ceccati, receleur de drogue, qui dès sa sortie de prison, a jeté son dévolu sur la Cité de la Brèche-aux-Loups
- Le substitut du procureur, Richard Verdier, et le commissaire Laroche, chargés de faire régner l'ordre républicain à Certigny.
Le lecteur comprend vite que les cartes ainsi distribuées vont être brouillées par le jeu des destins et des événements, individuels et collectifs... Thierry Jonquet donne à ressentir avec justesse ses personnages, leur parcours entre colère, illusions et désespoir, révolte, haine et amertume, dans un livre dense et tendu comme un miroir réfléchissant. Le titre, emprunté à un vers de Victor Hugo, fait résonner de manière prémonitoire la colère des laissés-pour-compte :
"Etant les ignorants, ils sont les incléments ;
Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire
A vous tous,que c'était à vous de les conduire,
Qu'il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité (...)
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l'ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;
C'est qu'ils n'ont pas senti votre fraternité."