Un coup de coeur de Mollat
Que sont les restes ? Question spéculative, métaphysique renvoyant à la question du résidu... Non ! Question existentielle, qui révèle quelque chose de la condition humaine, quelque chose de paradoxal : et c'est la question centrale de ce livre, qui traverse d'ailleurs toute l'oeuvre de Sansot : "Je reviens à ma préoccupation principale. Comment mordre sur le reste, c'est-à-dire sur les frontières de tout ce qui n'est pas moi et me serre de si près ? [...] Pourquoi faut-il qu'un trop nous encombre au lieu de nous combler ? Pourquoi ne pas se réjouir qu'il y ait enfin un excès, un résidu et non la misère d'un manque ?".
Question sensible en ce qu'elle interpelle notre intimité : il faut cacher les restes, nos restes ! Ne rien laisser voir de l'ignoble. Nos restes souillent... Pensez aux déchets, aux excréments !
Pourtant nous savons aussi veiller aux restes, à ceux de l'histoire. Et les restes se font patrimoine. Ils revêtent un caractère sacré, il ne faut pas les profaner ! ( Aller faire une randonnée dans le Parc National des Pyrénnées et trouver sur son chemin un sac plastique, des déchets abandonnés ). Voilà en quoi nos restes à nous souillent. On voudrait ne rien laisser voir de notre passage dans l'histoire, dans la nature, laisser les lieux intacts, vierges.
Les restes entretiennent une ambivalence : à la fois de l'ordre du sacré comme le patrimoine historique, naturel, et de l'ordre de la profanation c'est-à-dire de ce qui porte atteinte au sacré, ce qui le souille. Profanation de l'intime, dans la découverte de ce que nos parents nous laissent après eux : ouvrir leurs tiroirs, vider leurs armoires... Les restes d'un cambriolage violent l'intimité du chez soi dans ce même sens.
Mais les restes sont aussi une fête : connaissez vous la re-noce chez ceux que Pierre Sansot appelle les gens de peu ? C'est cette fête qui prolonge ultimement la fête des noces : les invités viennent manger les restes ! Et il y a tout un art d 'accomoder ces restes. C'est une manière de s'attarder autour de la table, d'y célébrer l'amitié !
Restes, ruines, décombres, reliques, vestiges, traces, graffitis, ambivalence disions-nous ! "Le reste reçoit donc deux acceptions différentes : un résidu, un laissé-pour-compte, mais aussi bien l'immensité de ce qui nous entoure et dont les manifestations n'épuisent pas la totalité. [...] Ces deux acceptions du reste renvoient à deux attitudes possibles. Dans le premier cas, il faut l'isoler, l'exténuer, si possible le faire disparaître. Dans la seconde occurence, il manifeste clairement que la réalité est inépuisable et nous devons nous réjouir qu'il en soit ainsi : jamais la matière ne nous manquera. Le reste n'advient pas à la suite de notre insuffisance, d'une sorte d'accident. Il est une marque de notre condition, la manifestation illimitée du monde qu'il convient de célébrer". Il me semble qu'on a là la posture typique de Pierre Sansot : exhaltation de la vie, joie tranquile, saveur et intensité de l'existence. Enfin comment ne pas voir dans cet ouvrage la malice de Pierre Sansot : il nous a quitté en nous laissant un texte inachevé sur les restes, nous interpellant sur cette ultime question : "Que reste t'il d'une vie ?". C'est un texte très fin, ponctué d'anecdotes de la vie quotidienne, qui parle à tous.