Un coup de coeur de Mollat
Certains auteurs aiment à creuser le même sillon. C'est le cas de Franck Bouysse, hanté par les paysages, la campagne, la nature, les lieux. Ne vous y trompez pas, il est bien question ici de roman policier, mais dans le contexte original d'un ancrage terrien - ce qui n'est pas si fréquent en France, il faut le reconnaître…
Votre libraire avait déjà été conquis par Grossir le ciel, son titre précédent (qui vient de paraître en livre de poche, à lire absolument !), cruelle tragédie se déroulant dans un coin paumé des Cévennes. Les premières pages de Plateau, qui vient de paraître, campent le décor du plateau de Millevaches : Les arbres, quand il y en a, on ne sait dans quelle matière ni jusqu'où ils vont puiser le sens de leur vie, dans quelle terre ruissellent leurs racines, sur quel magma la graine a bien pu germer en enfanter, avec l'unique projet de subir le vent, le froid, la neige et parfois la brûlure…
La description et la langue, belle et torturée, augurent de l'ambiance, où les hommes se confrontent à l'hostilité du climat, à la rudesse de la terre. On fait ainsi la connaissance de Karl, qui s'est installé dans la région il y a quelques années, après avoir racheté la ferme du vieux Clovis, mort de froid un hiver. De Virgile, qui est en train de devenir aveugle et qui, entre deux travaux des champs, passe son temps à surveiller Judith, sa femme malade, qui perd la tête de jour en jour. De Georges, leur neveu, qui vit dans une caravane, avec ses failles : la mort de ses parents quand il avait 4 ans, dont il ne s'est jamais remis. D'un mystérieux chasseur qui guette dans l'ombre… L'arrivée de Cory (Coralie), fuyant un mari qui la bat, va venir bouleverser tout ce petit monde. L'auteur fait monter la tension, insidieusement, et construit son histoire sur fond de destins implacables et accablants. On referme le livre avec le sentiment hanté d'avoir lu du grand noir, tragique et puissant.