" La S-F n'est pas négligeable, elle est morte. La science-fiction est morte depuis que la réalité l'a rejointe. C'était en 1969, lorsque Neil Armstrong a posé le pied sur la Lune. Ce jour-là, tout ce que les romans de science-fiction rêvaient, l'homme l'accomplit. "
Dixit J.G. Ballard dans une interview donnée au magazine Lire, en février 2005. Propos doublement choquants : par leur stupidité et par celui qui les a proféré. Il fut écrivain de S-F jusque dans les années 70, et l'un des plus passionnants. Qu'il soit désormais considéré comme un auteur de littérature générale ne l'autorise pas à nous jouer cet " après-moi-le-déluge ".
Avoir cette trahison bien en tête décuple le plaisir de lire Days de J. Lovegrove. A peine de l'anticipation (les gigastores du roman n'existent pas encore), un peu fantastique (un des protagonistes a bien du mal à faire réapparaître son reflet dans la glace le matin), Days est une satire amère de notre addiction à la consommation. Ce récit de quelques lignes de vie nouées autour de ce magasin cyclopéen, mené sur un ton faussement naïf, dérape d'une banalité étouffante vers l'absurde et la tragédie. Prenant, grâce à d'excellents personnages et complètement borderline, Days fait de Lovegrove un digne fils spirituel de... J. G. Ballard.
Autre coïncidence : la réédition, toujours en janvier, du Jour des Triffides de John Wyndham. Ce texte de 1951 est incontournable. Assumant l'héritage du Wells de la Guerre des Mondes, traumatisé par la menace nucléaire, Wyndham, avec ses romans d'après-guerre va lancer le très britannique courant des romans apocalyptiques dans lequel s'illustreront Thomas Disch ou encore... J.-G. Ballard.
Avec ses êtres humains rendus aveugles par une mystérieuse pluie de météorites et pourchassés par ces terrifiantes plantes qui marchent, Le Jour des Triffides s'annonce comme ce que la S-F peut produire de plus idiot ; il n'en est rien. "Car Wyndham est un auteur exceptionnel, qui a un art consommé du récit catastrophe, auquel il a su donner une remarquable profondeur psychologique". Point de spectacle ici, " c'était simplement la longue course lente et inévitable du délabrement et de l'effondrement " comme le dit l'auteur. Tout est dans la psychologie du personnage [Bill, le héros du roman], dans ses espoirs, ses pérégrinations " (Olivier, sur le site du cafard Cosmique).
Voilà, comme tout courant littéraire vivant la S-F a une histoire, de ses précurseurs aux petits nouveaux, de ses classiques à ses petits maîtres. Sur les tables des librairies et dans les rayons se côtoient le père et le fils littéraires. Ainsi, s'il y a une filiation à établir pour Le Temps du voyage de Roland C. Wagner, c'est indubitablement du côté de J. Vance qu'il faut chercher. " (...) un space opera vancien et picaresque qui mêle aventures et réflexion sur le colonialisme " lit-on dans la wikipedia, du " Vance optimiste " dans le forum S-F de Télérama, " une sorte de cycle de Tschaï en miniature " pour wtm-paris.com, " Un roman idéal pour découvrir ou faire découvrir la science-fiction " sur Mollat.com
20 ans ! Depuis 20 ans, depuis Le Jeu du monde de Michel Jeury, aucun auteur francophone n'avait été publié dans la célèbre collection Ailleurs & Demain. Et c'est un premier roman de surcroît ! L'heureux élu s'appelle Georges Panchard, tout juste cinquantenaire et suisse ; son livre s'intitule Forteresse. Mérite-t-il l'honneur qui lui est fait ? En cours de lecture, on répond : " Oh ben, c'est une espèce de techno thriller cyberpunk. Excellent rythme, de bonnes trouvailles géopolitiques ; un héros très réussi, mi-bodygard mi-barbouze, un paranoïaque aigu attachant. Un bon livre, quoi, qui mérite ses 20 euros, mais rien de renversant ". Et après l'avoir terminé, on reste sans voix devant la perfection de la manipulation, devant la maestria de cette variante du meurtre en chambre close.
A suivre...