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Il y a quelque chose de pourri dans ce monde...

Publié le 12/06/2012
Dans le cadre du centenaire de Gallimard, le polar français fut mis à l'honneur à la librairie Mollat avec la venue de Dominique Manotti et de DOA.Retour son sur une rencontre qui tint toutes ses promesses !
Elle : Dominique MANOTTI
68 ans – agrégée d'Histoire – spécialiste de l'histoire économique du XIXème siècle – universitaire – enseignante – militante politique et engagée – syndicaliste de longue date à la CFDT...

Elle fait une entrée remarquée dans le polar en 1995 avec son premier livre, Sombre Sentier, qui reçoit le Prix Sang d'Encre, récompensant le meilleur roman policier de l'année. Y résonne la réalité brutale et contrastée du quartier du Sentier, situé au cœur de Paris, avec ses ateliers de confection et ses travailleurs clandestins. L'auteur sait de quoi elle parle : elle était sur le terrain en 1980, à leurs côtés, syndicaliste active luttant en faveur de leur régularisation. Où l'on fait connaissance avec le commissaire Théo Daquin, flic homosexuel, qui enquête sur le meurtre d'une jeune prostituée thaïlandaise – les ramifications de l'intrigue vont s'étendre sur fond de trafic de drogue et de corruption. La «trilogie Daquin» se complète avec deux autres livres, que l'auteur n'avait pas prévus au départ : A nos chevaux (1997), plongée dans la spéculation immobilière, et Kop (1998) ou les dessous du ballon rond - la passe se joue entre fric et politique.
Les livres se suivent, creusant le sillon amorcé, dénonçant dérives sociales, politiques, économiques... Ainsi, Nos fantastiques années fric (2001), Prix du roman noir au festival de Cognac et Prix Mystère de la Critique, épingle le cynisme du commerce des armes. Le cinéaste Éric Valette le porte fidèlement à l'écran huit ans plus tard sous le titre Une affaire d'État, avec dans les rôles titres André Dussolier, impressionnant en politicien pourri, Rachida Brakni en flic pugnace, Thierry Frémont en homme de mains sans pitié, à la gâchette facile et Christine Boisson en mère maquerelle.
Changement de décor et de temps avec Le Corps noir (2004) – allusion à la S.S. Allemande - puisque l'action se situe en 1944, dans le contexte des deux derniers mois avant la fin de l'Occupation, certains sentent tourner le vent, tandis que d'autres ne voient pas arriver la débâcle...
Lorraine Connection (2006) s'inspire de la privatisation de Thomson, qui voit s'affronter deux groupes financiers Alcatel et Matra allié au coréen Daewoo dans une valse à rebondissements qui vire à la farce politique. Deux récompenses encensent ce nouvel opus : le Prix Mystère de la critique et, distinction rarement accordée à des auteurs français, le Duncan Lawrie international Dagger décerné par la Grande-Bretagne. Dernier titre en date, Bien connu des services de police (2010) nous donne à vivre le quotidien d'un commissariat en banlieue parisienne à travers différents portraits de flics – une radiographie au constat implacable.


Lui : DOA
42 ans - créateur de jeux vidéos – scénariste – s'il a choisi d'écrire sous le pseudonyme de DOA c'est, dit-il, « parce que mon vrai nom n'intéresse que moi. Et puis cela veut dire Dead On Arrival, c'est un terme de médecine légale US, ça colle avec mon genre littéraire ». Romancier de son temps, il aime le cinéma, la bande dessinée, l'informatique, la musique électronique...

Ses deux premiers livres paraissent aux éditions Fleuve noir en 2004 : Les Fous d'avril, thriller mâtiné de science-fiction dont l'action se passe en 2029 et met en scène un « cyber tueur » infiltré dans un réseau informatique, et La Ligne de sang, pavé onirique et halluciné - lent glissement vers l'horreur, entre coma et cauchemar. Qui imaginerait le monstre caché derrière les apparences d'un homme discret, à l'abri des regards, par exemple dans les profondeurs d'une cave ?... A noter que les éditions originales de ces deux titres sont introuvables en librairie, car épuisés. En 2010, la collection de poche Folio accueille à son catalogue La Ligne de sang dans une nouvelle édition revue par l'auteur. Pour la petite histoire, il se murmure que DOA ne tient pas à ce que soit réédité Les Fous d'avril, à moins de le réécrire un jour complètement...
Son troisième livre, Citoyens clandestins, imposant volume de 700 pages, au sujet ambitieux, reçoit en 2007 le Grand Prix de littérature policière. Pour reprendre les termes d'Aurélien Masson, éditeur à la Série Noire, “ce roman choral est une odyssée vertigineuse et sanglante qui vous mettra tour à tour dans la peau d'un infiltré, d'une jeune journaliste idéaliste et d'un homme de main exécutant des basses œuvres de la politique française. Dans cette plongée au coeur de l'infiltration de cellules islamistes et terroristes par des agents des services secrets de l'Etat français, le lecteur ne cesse d'osciller entre la réalité et la fiction pure, un peu à la manière d'un James Ellroy dans American Tabloïd.
Son roman suivant, Le Serpent aux mille coupures (qui emprunte son titre au lengt'che, châtiment chinois réservé aux traîtres) contraste par son format court et sa sècheresse. Glissez dans un shaker les habitants racistes d'un village du Tarn-et-Garonne, des trafiquants de coke, un motard en cavale, une famille séquestrée, et agitez le tout, le mélange est détonnant.


Elle et lui : Dominique MANOTTI et DOA
Ils se réclament tous deux de James Ellroy. DOA le cite comme un de ses modèles littéraires. Quant à Dominique Manotti, c'est après avoir lu L.A Confidential du même Ellroy - un choc ! - qu'elle décide de se mettre à écrire des polars. Comme le maître du roman noir américain, ils puisent leur matière dans l'infinie palette de la saloperie humaine : corruption, politique, pouvoir, argent sale, drogue, affaires d'état, etc... Il fallait donc bien qu'un jour ces deux-là, aux préoccupations communes, se rencontrent.

C'est chose faite avec ce livre écrit à quatre mains, qui paraît à la Série Noire, L'Honorable société – titre ironique prêtant à sourire car le lecteur averti ne saurait tomber dans le panneau, il va de soi que les apparences vont recouvrir une autre réalité, douteuse celle-là... Le livre s'ouvre sur un groupe de militants écolos en pleine opération de piratage de l'ordinateur d'un nommé Soubise, ingénieur commercial EGT, Électricité Générale Technique, sous-traitant d'EDF et d'Areva, groupe nucléaire. Mais les événements vont prendre un tour imprévu : à travers la caméra infiltrée, les jeunes écologistes assistent en direct au meurtre de Soubise, agressé à son domicile ! Craignant d'être impliqués, les pirates s'empressent de prendre la fuite... Plus tard dans la soirée, sa compagne inquiète découvre le corps de Soubise et prévient la police. Elle tombe des nues en apprenant que celui-ci n'est pas l'ingénieur qu'il prétendait être mais un ancien flic chargé de la sécurité du CEA, organisme contrôlant toute la filiale nucléaire française. Qui avait intérêt à vouloir sa mort ? Dans le même temps, Pierre Guérin, actuel ministre de l'économie et des finances et candidat aux élections pour la majorité présidentielle, dans un revirement soudain, annonce à la radio qu'il se déclare favorable au réacteur nucléaire. Où l'on sent poindre l'indémodable rengaine qui fait rimer politique avec intérêts financiers...

Mais chut ! N'en disons pas plus, et réécoutons cette passionnante rencontre, animée par Bernard Daguerre (grand polardeux devant L'Éternel) qui tint toutes ses promesses !

Voici aussi une mini-interview de Dominique Manotti que nos libraires ont filmée à l'occasion du Quai du Polar 2011 :