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La littérature occitane d'hier et d'aujourd'hui

Publié le 20/05/2008
D'Eble II, Vicomte de Ventadorn aux Fabulous trobadors contemporains, la langue occitane est récit, poésie et épopée. Sergi Javaloyès, écrivain, visite pour nous ce pays vivant et chaleureux, celui de la langue d'Oc.

I. Littérature occitane : une permanence dans l'adversité, l'exil.
« Longtemps les Troubadours occitans ont été considérés sous l'angle de la connaissance philologique et non de la critique littéraire. Ils se sont présenté au lecteur non averti comme un ensemble indistinct, les plus grands mêlés aux médiocres, que l'unité classique de leur art rendait monotone. » (Robert Lafont, Nouvelle histoire de la littérature occitane). Nous pourrions faire ce constat pour l'ensemble de l'écriture occitane depuis Eble II, vicomte de Ventadorn au XIIe siècle jusqu'à Bernat Manciet. Seule la prégnance de la poésie comme expression privilégiée serait sans doute une singularité, avec l'épopée comme étendard. Face à la littérature française, la littérature d'Oc a choisi d'autres voies, a investi d'autres continents de la littérature, quand elle n'a pas été jusqu'à brûler ses vaisseaux, loin, pour se singulariser, et ne pas être la pâle réplique d'une littérature française miroir et modèle.

Elle avait influencé Dante, Pétrarque, les poètes de la Pléiade, puis plus tard Pound, Tzara, Roubaud, etc. Autonomie certes, mais autonomie précaire. Effet de miroir avec la littérature des marges linguistiques : la Française, bien sûr, souvent la catalane parfois la castillane ou l'Italienne, souvent la nord-américaine. F.M. Castan l'écrit avec clarté : « Dans la France contemporaine, les écrivains occitans ont été confrontés à une littérature française qui a acquis un rayonnement mondial. Ils furent pris d'émulation, pour entrer dans les voies de la modernité. Ils rompirent avec la littérature félibréenne, tandis qu'une fièvre langagière, depuis le deuxième quart du XXe siècle, les plaçait à égalité avec les autres littératures européennes. Non point mimétique : ils ne perdirent pas leur identité. (…) »

De Guilhem IX d'Aquitaine à Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature en 1904, et nos jeunes écrivains d'aujourd'hui, neuf siècles ont passé, sans qu'il y eût véritablement discontinuité : jamais le « frêle esquif » de la littérature d'Oc a arrêté sa course parallèle, dissidente. Sa langue « pluri-dialectale » y a fortement contribué face à la langue vérifiée, normée, académique de la littérature française. C'est sa richesse et sans doute sa faiblesse. À l'instar de la complexité et de la diversité de son espace linguistique (32 départements français), la littérature d'Oc est prolixe et contradictoire ; d'aucuns diraient qu'elle ne déroge pas à la règle : la médiocrité y a sa part irréductible, et le génie trop rare vient déstabiliser la « critique nationale » quand elle veut bien s'en préoccuper. Voyez ce qui est advenu à Castan, Jean Boudou, Marcelle Delpastre, Bernard Manciet ou à Max Rouquette : leur mort a été leur royaume. Car qui connaît, ou qui veut connaître, ces noms qui leur sont aujourd'hui étrangers ? Pourtant, les quatre cents troubadours ont sans conteste marqué du sceau de la « subversion », au sens premier du terme, la littérature européenne d'alors : du XIIe au XIVe siècle, ils ont mis en œuvre une nouvelle érotique qui changeait radicalement les termes du rapport homme – femme, du rapport homme-société. Le « Trobar » est l'âme de ce mouvement littéraire : chez Jaufre Rudel, prince de Blaye et Ventadorn, l'amour — l'amor — est promu, et au-delà toute la société aristocratique aquitaine baigne dans un climat spirituel qui tranche avec une époque féodale faite de violence et de cynisme sous-toutes leurs formes : le service « d'amour » n'est plus militaire, il est fait de fidélité et de talent poétique. La « valeur » n'est plus une valeur guerrière : Manciet, avec son chef d'œuvre L'Enterrament a Sabres et Max Rouquette avec son Verd Paradis, ne feront pas autre chose.

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