Un coup de coeur de Mollat
On ne mentira pas en avouant qu'on s'impatientait d'avoir des nouvelles du dénommé Bernard Quiriny qui nous avait bluffé il y a trois ans avec son Angoisse de la première phrase paru chez Phébus. S'agissait-il d'un coup de maître unique qui n'aurait pas de suite ? Avait-on condamné ce brillant jeune homme à se tourner vers le roman sous le prétexte terrible et rebattu que "les Français n'aiment pas les nouvelles"... ?
Non, Bernard Quiriny ayant surmonté, sans doute, ses angoisses du premier livre, ayant mis la main sur un éditeur de première importance, ayant accepté de s'encadrer de rouge, il plante à nouveau ses crocs aiguisés dans notre imaginaire qui ne demande que ça avec une série de nouvelles d'une qualité proprement effarante.
Belge de Bruxelles, ce qui ne change pas grand chose à son talent, Quiriny est un lecteur universel qui a fait son miel de l'inévitable Borges, de l'inquiétant Bioy Casares, du génial Cortazar (dont on ressort opportunément l'intégrale des nouvelles en Quarto), du fameux de Quincey, de l'indispensable Stevenson, de l'insondable Aymé ou des gouffres de Poe. Toutes ces influences digérées, tous ces prestigieux prédécesseurs posés sur la cheminée, il aménage son univers, clignant parfois de l'oeil vers une de ces figures tutélaires pour mieux la dépasser et jouant de son érudition sans nous l'infliger (et tant pis si l'on n'a pas saisi la correspondance, le train continue sur sa lancée). Personne ne s'étonnera donc d'apprendre que c'est Enrique Vila-Matas qui signe la préface, en forme de trompe-l'oeil, rendant à Quiriny la monnaie de sa pièce puisque celui-ci l'avait poignardé dans son premier livre, ce dont le grand écrivain espagnol ne lui tient pas rigueur puisqu'il réclame avec nonchalance la paternité de l'ouvrage.
Mais que cet afflux de grands noms ne nous éloignent pas du coeur de ce livre qui se passe volontiers de parrains. Multipliant ces fameuses premières phrases anxiogènes pas moins de quatorze fois, B.Q. nous invite aux voyages, de l'Amazonie où se distinguent des indiens adeptes d'une langue qui a fait du quiproquo la règle absolue aux rivages souillés par les marées noires célébrées par une société secrète, de l'Argentine où l'ubiquité est une torture rare à l'Europe centrale où certain alcool règle définitivement tous les problèmes. On y mange, on y déguste, on y boit, on s'y délecte de livres et de musiques, on passe par tous les états, de la stupeur à l'inquiétude, on y croise surtout Pierre Gould qui a survécu au premier recueil et se promet de nous hanter pendant les prochaines cinquante années de création de cet auteur d'à peine trente ans qui, d'un livre, empoussière toute une génération de jeunes écrivains dévorés par leurs auto-fictions.
Gageons qu'on verra bientôt réapparaître Gould & Quiriny sur notre blog car voici un livre qu'on n'épuise pas d'un souffle.