Un coup de coeur de Mollat
Hervé Le Corre nous revient avec un somptueux roman noir. En toile de fond, la ville de Bordeaux, chère à cet enfant du pays - souvenons-nous de ses premiers livres réédités chez Pleine page en un seul volume sous l'intitulé Trois de chutes... Ici, Bordeaux et le Médoc se retrouvent écrasés par la canicule, où «les coeurs déchiquetés» (titre rendant hommage à une chanson de Léo Ferré) promènent en contrepoint leurs sombres tourments, entre solitude et manque d'amour.
Le roman s'ouvre sur la figure de Pierre Vilar, flic cassé et hanté par la disparition inexplicable de son fils Pablo, à la sortie de l'école, quelques années auparavant. Ce deuil doublement impossible - car comment s'assurer de sa vie ou de sa mort ? - va se trouver réactivé par une sombre affaire de moeurs – apparemment sans rapport avec sa vie personnelle – et pourtant... Il est chargé d'enquêter sur la mort violente d'une jeune femme, Nadia, dont le corps a été retrouvé par son fils Victor. En chapitres alternés, le lecteur va ainsi suivre les deux histoires qui se répondent en miroir et dont le dénominateur commun réside dans la perte d'êtres chers - fantômes secrets auprès desquels la misère de ces deux inconsolés va se heurter jusqu'à l'impensable.
A l'instar de dignes héros de tragédie grecque, Pierre et Victor vont se retrouver impuissants tout au long de cette marche funèbre qui les conduit aux confins de la noirceur de l'âme humaine : violence, enfance martyre, dénuement économique, trahison, manipulation mentale opérée par un tueur fou qui, tel un Dieu omniscient, semble en savoir plus que les personnages sur leurs drames intimes. De chasseur, Pierre devient à son tour la proie de ses obsessions comme incarnées par ce harceleur qui se joue de ses espoirs...
Aussi sombre qu'elle soit, l'histoire que nous conte Hervé Le Corre est portée par la grâce d'une langue tout aussi puissante et imagée que dans son précédent opus L'Homme aux lèvres de saphir, elle résonne avec la force poignante d'une entêtante litanie.
par Karine et Véronique
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