Un coup de coeur de Mollat
Déclassés, c'est bien le nom qui convient le mieux à la plupart des patients qui défilent, boiteux de l'âme et du corps, dans son cabinet : marginaux, prostitués, travelo, essoufflés qui ne peuvent plus joindre les deux bouts de leur vie et voient en leur médecin un sauveur qui se refuse pourtant à se sauver lui-même.
De la marge qu'il côtoie à l'exclusion volontaire il n'y a qu'un pas et notre anti-héros le franchit le plus souvent possible. A l'instar de son patient Gonzague, commercial cocaïnomane occasionnel qui a viré dealer, Arnaud vit sur le fil du rasoir, un peu alcoolique, un peu asocial, un peu révolté, il ne lui faut pas grand chose pour passer de l'autre côté d'un miroir sans teint. Pour ne parler qu'à peine de son incapacité à assumer une relation sentimentale ou jouer son rôle de père.
Pour le comprendre il faudrait peut-être aller chercher du côté de ses expériences antérieures, de son engagement dans l'armée durant le conflit yougoslave, de ses souvenirs de la guerre civile à Belfast, il faudrait ausculter son rapport à ce territoire qu'il arpente, mélange de friche industrielle et d'éco-quartier, il faudrait interroger son expérience du temps qui entremêle en permanence passé, présent et futur.
Héros intranquille et pourtant attachant, ce médecin des zones nous offre un paysage intérieur qui ressemble aux lieux qui l'attirent et le hantent. Jamais on n'avait osé raconter Bordeaux à travers ce prisme et ce n'est pas la moindre réussite de ce livre animé par une langue vivante, fébrile et inventive, à l'image des habitants de ce morceau de cité auxquels il rend mieux qu'un hommage. Fred Léal, qui avait conquis un petit public de lecteurs fascinés par ses jeux de langue, va gagner une audience que ce très beau livre mérite largement.