Un coup de coeur de Mollat
Au collège Rosa Parks c'est une journée comme les autres qui commence, vibrante de cette énergie propre à la jeunesse d'autant que les vacances scolaires de février approchent. Dans la fébrilité d'avant les cours, on discute, s'interpelle, se donne des nouvelles des absents (les fameux virus de l'hiver font des dégâts). On se bouscule, on chahute gentiment en attendant le tintement de la cloche. "Aucune raison d'envisager le pire". Juste une nez qui saigne ici, une mèche de cheveux qui tombe là et un poignet qui démange chez un autre. Des bricoles, quoi...
En quelques pages, les corps se délitent, se désintègrent, explosent sous l'effet d'un virus aussi effroyablement contagieux qu'il est inconnu. Guillaume Guéraud ne nous épargne rien de ces corps qui saignent et montrent leurs viscères de façon indécente. Le plan Orsec est déclenché, les collégiens et leurs professeurs isolés du reste du monde et les corps ne cessent de tomber...
Cinématographique en diable -les amateurs de manqueront pas de relever quelques hommages au cinéma gore que Guillaume Guéraud se plaît à citer discrètement-, Plus de morts que de vivants ne doit pas être lu comme un simple -et brillant- exercice de style. Dans son organisation narrative du chaos, les personnages ne sont jamais oubliés et les portraits croisés des ados comme des adultes sonnent juste : des gamins frondeurs qui roulent les mécaniques retrouvent une fragilité et une vérité devant l'épreuve qui les rend émouvants et sensibles, ceux que leur jeune âge poussait à se croire immortels font l'expérience de leur finitude à venir. Le corps enseignant est solide, soudé dans l'épreuve sans être pour autant épargné. A l'extérieur, l'angoisse de parents désemparés et la presse, avide, à l'affût. Tous vont devoir se battre face à plus fort qu'eux. Une forme de peste inédite contre laquelle il ne semble pas y avoir d'arme, une peste brune qui n'est pas sans rappeler celle de Camus et de ses bubons qui explosent en assurant la contagion avec efficacité. Et quand je vous aurais dit que le principal du collège Rosa Parks de Marseille se nomme Rieu comme le médecin de La peste (même si un "x") les sépare), croirez-vous qu'il s'agit d'un hasard ou de l'inconscient collectif qui nous lit et nous nourrit de références ?
Si l'on y sent parfois l'amusement d'un auteur qui joue avec les codes du genre, la colère et l'inquiétude sont tout aussi palpables dans la montée de la tension dramatique. Les détracteurs de l'auteur de Je mourrai pas gibier ou Déroute sauvage devraient bien y regarder à deux fois avant de dénigrer ce texte où la violence des images n'est jamais gratuite. On se prend à être séduit par la force voire la beauté des descriptions alors même que ce qui est dépeint relève de la pure horreur. Un roman qui a du style, du nerf et amène à réfléchir à ces moments de crise inattendus dans une société où l'immédiateté de l'information, la suprématie de l'image modifient de façon pernicieuse notre lecture des événements. Magistral, maîtrisé de bout en bout mais attention aux estomacs fragiles !