Un coup de coeur de Mollat
Eddy s'est toujours senti différent, d'abord de sa famille, puis de ses camarades d'école, et de tout le reste de son entourage. Les Bellegeule sont une famille d'ouvriers, le père travaille à l'usine comme son père et son grand-père avant lui ; sa mère, femme au foyer, élève cinq enfants, son frère aîné est un "dur", sa grande sœur se coltine un compagnon qui la bat… Le portrait dressé par le jeune homme de sa famille correspond à une réalité sociale extrêmement dure et amère d'une condition ouvrière qui semble inchangée depuis la nuit des temps. Et aussi loin qu'il se souvienne, Eddy a toujours été un enfant efféminé avec "des manières", "des airs" que son entourage remarque avec un mélange d'incompréhension et de honte. Voyant dans le regard de sa famille la bête curieuse qu'il est pour eux, et souvent harcelé par des garçons plus âgés, Eddy est clairement piégé dans son quotidien. D'autant plus que son homosexualité s'impose très vite à lui, et pourtant il va tenter de la dissimuler, de la noyer, mais évidemment sa sexualité va rapidement le ronger pour finir par le submerger à l'adolescence.
Au delà de cette homosexualité enfouie et de la honte qu'elle inspire à Eddy lui-même, le jeune homme ressent encore plus violemment, peut-être, la honte d'appartenir à son milieu "pauvre" et à cette famille qu'il juge "arriérée". Pourtant ses parents ne manquent pas d'amour à l'égard de leurs enfants et, à plusieurs reprises au court du récit, on éprouve pour les parents de la tristesse en pensant à la répugnance qu'Eddy a d'être leur fils. Sa différence, sa sensibilité et la conscience qu'il a d'elles le mettent encore plus à l'écart des siens que la peur de son homosexualité révélée. Très vite, on le sent bien, Eddy va chercher un échappatoire à son milieu, à sa famille, à sa vie.
On imagine qu'en partant étudier dans une section artistique au lycée d'Amiens, en pension complète, Eddy commencera à trouver cet échappatoire. Puis, en devenant Edouard Louis, le jeune garçon ne pouvait symboliquement pas faire mieux pour abandonner le jeune Eddy Bellegueule, son village natal, sa famille, ses origines…
Un parcours particulier pour un jeune homme d'une vingtaine d'années à peine, personnage plus réel que fictionnel, auquel, pourtant, le lecteur ne peut demander de justifier ses choix, ceux fait dans sa vie ou dans son roman. Un roman, quoiqu'il en soit, d'une grande force à la fois fascinante et répulsive. D'En finir avec Eddy Bellegeule, on ressort très troublé et vacillant avec un immense sentiment de douloureuse tristesse pour un jeune homme qui ne s'est jamais senti à sa place et dont on n'a aucune certitude qu'il la trouvera finalement, puisque semblant avoir renoncé à ses racines et donc ayant abandonner une part de lui dans le néant d'une région qu'il veut à tout prix laisser loin derrière lui. Un livre qui questionne.