Un coup de coeur de Véronique Marro
Au fin fond de l’Indiana, « dans une ville flétrie qui se fane, tourmentée par une lumière poussiéreuse », Jim Falls, veuf de 71 ans garde le temps de l’été son petit-fils Quentin, 16 ans, un adolescent proche de l’enfant sur le plan émotionnel et qui préfère sniffer de la colle, se réfugier dans ses jeux vidéo ou s’imaginer dresseur de reptiles, pour oublier que sa mère (Deirdre, l’unique fille de Jim, et junkie) l’a abandonné dans cette ferme où élever des poulets s’avère de moins en moins rentable. Alors qu’aucun avenir ne semble promis à ces êtres qui ne savent communiquer, une apparition va déchirer leur ciel assombri sous la forme d’une sublime jument de course blanche, fruit d’un héritage providentiel. L’irruption de la beauté et de la douceur qui porte un nom masculin biblique (Jean le Baptiste) attendrit peu à peu Jim, ravi de la complicité avec la créature à « l’encolure laiteuse » qui, grâce à « sa posture à la fois intimidante et protectrice » réussit également à amadouer Quentin. Le rêve d’une vie commune et nouvelle va pourtant tourner court car cette acquisition suscite la convoitise de deux frères aussi paumés que fous dangereux qui blessent Jim d’un coup de pistolet avant de s’enfuir avec l’animal, mais aussi de Rick qui a promis de ramener à son patron à la fois le cheval et sa fille Rylee qui a fugué. Tous ignorent la farouche détermination de ce gamin viscéralement attaché à sa nouvelle « amie » et de son grand-père, ancien policier militaire en pleine guerre de Corée, bien loin d’avoir dit leur dernier mot.
Le western évolue alors vers un « road trip » qu’affectionnent les écrivains américains, ici pour raconter l’inaltérable croisade de ce duo traversant à bord de leur pick-up des paysages désolés, et prêts à tout pour récupérer leur seule alliée en ce monde. Comme dans tout voyage initiatique, le vieil homme s’ouvre à son petit-fils, confesse ses anciens faits d’armes dans les années 50 parmi la brigade des mœurs à Chuncheon, et, en lui enseignant comment se défendre à son tour contre le mal, tous deux apprennent à s’apprivoiser. Dans une vengeance aux multiples rebondissements, la jument symbolise le lien fragile et infini entre la nature et les hommes, ainsi que la sauvage liberté à laquelle tous aspirent. Cette « unique chose dont dépend notre salut » qui n’est pas sans évoquer au lecteur la baleine Moby-Dick (spectre qui hante le capitaine Achab dans le roman éponyme de Melville) figure, selon le titre de ce deuxième roman impeccablement traduit par l’équipe des éditions Agullo après Le blues de la Harpie, la promesse d’un bonheur perdu et d’un sens à retrouver, une « pure merveille » bien plus étincelante que noire...