Un coup de coeur de Emilie S.
Si une partie de la correspondance de la famille Richardson n’était parvenue jusqu’à nous, jamais nous n’aurions eu la chance de découvrir la vie à la fois ordinaire et extraordinaire d’Eunice Richardson (la femme du capitaine du livre).
Une centaine (500 environ) de lettres écrite entre 1850 et 1880 ont permis à Martha Hodes, professeur d’histoire à l’université de New York, de reconstituer l’intimité d’une famille avec ses conflits, ses préoccupations, ses interrogations, ses sentiments. Le récit de l’historienne se centre sur Eunice qui a écrit une centaine des lettres sur les 500 de la correspondance retrouvée. Malheureusement, les réponses ont été égarées ou détruites. Tout l'art de Martha Hodes est de parvenir, grâce à des hypothèses ou des intuitions, à reconstituer ce à quoi nous n'avons plus accès.
Les différents membres de la famille Richardson appartiennent au milieu ouvrier blanc. Ils travaillent presque tous pour l'industrie du coton et déménagent souvent au gré des offres de travail (d'où les nombreux écrits, seul moyen de communiquer dans l'éloignement). Nous sommes en Nouvelle-Angleterre aux États-Unis dans à la veille de la guerre de Sécession qui a déchiré les États-Unis pendant 4 ans et fait 617000 morts parmi les combattants. Elle s'est achevée sur l'abolition de l'esclavage et la ruine du Sud. Cette guerre a toute son importance dans le récit qui nous intéresse car la famille Richardson va se retrouver divisée dans ce conflit. En effet, le premier mari d'Eunice qui va l'emmener vivre dans le Sud dans l'espoir d'avoir une vie meilleure s'enrôlera auprès des confédérés tandis que les deux des frères d'Eunice se battront pour l'Union. Pays et famille en sortiront meurtris : c'est la première rupture.
Après la guerre, Eunice épouse un homme de couleur aisé et part vivre avec lui dans une colonie d'anciens esclaves sur l'île du grand Cayman dans les Caraïbes. C'est la seconde rupture qui permet à Eunice de sortir de la misère, de connaître enfin le bonheur mais qui perdra une partie de sa respectabilité auprès des siens. Fin tragique pour Eunice : elle meurt dans un ouragan en 1877 avec sa nouvelle famille.
Ce livre est un travail magnifique de micro-histoire avec un matériau exceptionnel que constituent ces échanges épistolaires terriblement vivants. On y découvre à la fois une Amérique abolitionniste et raciste, accueillante et méprisante envers les Irlandais. Martha Hodes reconstitue avec beaucoup de talent ces vies et notamment celle d'Eunice dans une lecture où l'Histoire et l'émotion se côtoient splendidement.