Un coup de coeur de Jean-Baptiste G.
moi, un manuscrit est ce récit. Dans ce texte à la première personne Simone Beta, professeur associé de philologie classique à l'université de Sienne, nous propose à la fois une synthèse historique et paléographique de ce célèbre recueil d'épigrammes grecs classiques et byzantins. Ce texte d'Histoire plein de poésie et d'humour nous transporte des stèles anatoliennes à l'opulente Byzance, de l'université de Padoue à la bibliothèque Palatine Heidelberg, de Paris l'impériale au Vatican très chrétien, de Constantin Céphalas à Erasme de Rotterdam. Nous voilà presque devant un récit de voyage, voyage à la fois dans l'espace et dans le temps, devant les pérégrinations quasi-homériques d'un texte à la valeur devenue inestimable, bien loin de retrouver son Ithaque. Mais le veut-il ?
Par ce travail à cheval entre Littérature et Histoire, Simone Beta interroge aussi notre rapport à l'écrit et à son support. On se rend compte ainsi qu'un texte, un manuscrit, bien plus qu'un simple objet est un être vivant, un organisme en perpétuel évolution traduit et retranscrit de si nombreuses fois que rechercher sa version originale c'est se perdre dans les méandres du temps. L'étudier c'est rencontrer des géniteurs, des traducteurs, des partenaires si différents et pourtant tous unis par l'amour d'un même texte, c'est grimper un arbre phylogénétique pleins de cousins, de palimpsestes, de faux et d'épigones et se perdre entre ses branches et nos racines.
Le livre a toujours joui d'un grand prestige culturel, en témoignent les ferveurs et les passions qu'a suscité l'Anthologie palatine. Il est apparu comme une révolution. Révolution technique d'une part puisqu'il a su tordre la longueur du rouleau en le transformant en feuillets plans et anguleux, facile à classer, facile à conserver. Mais surtout, il a déjoué le temps en posant par écrit la mémoire orale et les expériences des Hommes. Comme l'a si bien écrit Jacques Lacarrière : « […] si errer, comme je le dit quelque part dans ce livre, c'est d'une certaine façon s'enraciner dans l'éphémère, écrire c'est essayer de capturer cet éphémère afin de le fixer et l'enfermer dans la durer, c'est se vouloir et devenir oiseleur du Temps ».
Dans ce livre c'est bien cette prouesse qu'a réussi Simone Beta, « encrer » les errances d'un vénérable manuscrit afin de mieux nous plonger dans le vertige des temps qu'il a traversé.