Un coup de coeur de Héloïse
Le 209 rue Saint-Maur est un immeuble du Nord-Est parisien qu’en apparence rien ne distingue de nombreux autres édifices de la ville. La réalisatrice et auteure Ruth Zylberman aurait pu passer devant sans s’y attarder si ce numéro n’avait pas fait écho en elle avec la carte, réalisée par l’historien Serge Klarsfeld, des enfants juifs raflés en France durant la Seconde Guerre Mondiale. Y figurait, parmi tant d’autres lieux, ce 209 rue Saint Maur et les noms de neuf enfants.
A partir de cette liste de noms mystérieux, Ruth Zylberman va mener un immense travail de recherche pour retrouver leurs propriétaires ou les descendants de ces derniers, et reconstituer l’histoire de l’immeuble, des années 1840 à aujourd’hui.
Plus de 160 ans qui auront vu défiler nombre d’habitants dont les profils évoluent au gré des époques et dont les histoires intimes se mêlent à la grande Histoire. Les archives permettent à l’auteure de savoir que l’immeuble a abrité des communards, de retrouver des photos de barricades prises dans les rues voisines, d’apprendre qu’un locataire, un certain Mr Léon Gardeblé, gueule cassée de la Grande Guerre a assassiné l’amant de sa femme volage …
Les recensements des années 30 font défiler les noms des habitants et leurs métiers : batteuse d’or, chaudronnier, ferblantier, émailleuse, dactylos, crieur à la lanterne magique et autres professions qui nous paraissent aujourd’hui exotiques car disparues. Après la Seconde Guerre Mondiale, les origines des habitants du 209 se sont faites plus variées : portugais, marocains, italiens, algériens s’y sont installés. Aujourd’hui la gentrification du quartier a amené une population de « bobos », jeunes couples avec ou sans enfants, qui achètent et cassent, pour en faire des lofts, les murs de ces petits appartements, où se sont entassées tant de familles.
Si elle évoque toutes ces années et les changements qui se sont opérés dans l’immeuble, ce sont les années 1940-1944 auxquelles s’attache principalement Ruth Zylberman. En 1936, un tiers des 300 habitants de l’immeuble étaient Juifs. Durant les années terribles de l’Occupation, nombre d’entre eux ont été raflés, les autres se sont ou ont été cachés. Grâce aux archives, bibliothèques, appels à témoins sur Internet ou dans la presse, et à d'heureux coups du sort, l'auteure réussit à retrouver la trace de plusieurs enfants du 209, certains en Australie, Israël ou États-Unis. Elle les rencontre, souvent chez eux, et fait revivre leurs souvenirs de l'immeuble où ils ont vécu, d'abord dans l'insouciance de l'enfance, puis dans la peur et la répression.
C'est un livre bouleversant et d'une grande importance à l'heure des 75 ans de la libération d'Auschwitz-Birkenau. Important d'écouter et de lire les voix de ces survivants pour savoir et surtout pour ne pas oublier. Sans pathos, Ruth Zylberman livre des témoignages précieux. Une fois le livre fermé, vous n'oublierez pas le 209 rue Saint-Maur et ses enfants : Albert Baum, Odette Diament, Berthe Rolider, Daniel Szulc, Henry Osman et tous les autres.