Un coup de coeur de Lucie
En Australie, seulement 1% des incendiaires sont arrêtés par les autorités. Pourtant il n'aura fallu que quelques jours à la police locale pour trouver Brendan Sokaluk. L'homme assume la responsabilité, mais pas la volonté de nuire : il aurait jeté une cigarette par la fenêtre de sa voiture sans faire attention. Impossible alors de prouver qu'il s'agit d'un accident. Après toutes les souffrances endurées, les survivants ont besoin d'un procès : Sokaluk est le coupable idéal. Né "différent" dans les années 70 dans la vallée minière de Latrobe, Brendan doit vivre avec un handicap mental que personne ne peut traiter, une forme d'autisme qui à cette époque n'est pas reconnu. Personne, pas même sa famille, ne peut vraiment appréhender le monde dans lequel il vit, ni se figurer sa représentation de ce qui l'entoure. Depuis toujours, il subit la violence de ses camarades, puis collègues. Il faudra trois ans pour que se tienne le procès, qui durera dix-huit jours. Dix-huit longues journées, durant lesquelles inspecteurs, spécialistes des feux, témoins, victimes, survivants, avocats, médecins, comparaîtront dans l'espoir de dresser une chronologie de ces terribles événements et de clore un chapitre douloureux de leur vie.
Le livre de Chloe Hooper est ainsi séparé en trois parties : L'enquête, La défense, Le procès. Pour la plupart des européens, il est assez difficile de comprendre la violence d'un feu de brousse, et d'appréhender la volonté des habitants de protéger leurs maisons au lieu de s'enfuir à toute jambes. Hooper nous plonge dans le ventre de la bête, au coeur des flammes, du vacarme, de la fumée, avec ces gens qui ont lutté pour défendre leurs biens dans ce pays où le feu possède une histoire culturelle. Elle nous immerge aussi dans la psyché de Sokaluk, et tente de répondre à ces questions : pourquoi avoir déclenché ce feu ? Dans quelle mesure est-il capable d'éprouver du remords ? A quel moment, dans son histoire intime, est-il arrivé à ce point de non-retour ? Car comme le souligne Hooper, les incendiaires détruisent leur propre environnement et leur propre communauté. En l'occurence, celle de Churchill, ville pauvre dans laquelle règne le chômage de masse, où les centrales électriques dangereuses ne sont plus aux normes depuis des décennies, la vallée minière jamais entretenue. Rajoutons à cela le climatoscepticisme des élus - nous le constaterons dix ans plus tard lors des incendies de 2019 : tous les explosifs étaient prêts, il ne manquait que l'allumette.
Loin d'être un "true-crime" procédurier aux confins du polar, ce livre est un document très important sur l'ère dans laquelle nous vivons : le Pyrocène, conséquence naturelle (et catastrophique) de l'Anthropocène. Avec une plume précise et délicate, Hooper nous force à nous interroger sur l'avenir que nous souhaitons pour notre espèce, et soyons honnêtes : ça commence mal.