Un coup de coeur de Libraires
Dans le premier tome de ses mémoires, Alias Caracalla (Gallimard, 2009), Daniel Cordier racontait son engagement de la première heure au sein des Forces françaises libres. En 1942, parachuté à Montluçon, il rejoint rapidement Lyon où il devient le secrétaire de Rex alias Jean Moulin, qu'il aimait à appeler "son patron", dont il ne découvre la véritable identité qu'à la fin de la guerre. Ce premier volume montrait l'engagement, le parcours politique et la force de conviction d'un jeune homme passionné de 19 ans prêt à tout pour libérer sa patrie.
La victoire en pleurant démarre là où Alias Caracalla s'était arrêté : l'arrestation de Jean Moulin. Malgré ce drame et ce sévère coup porté à la Résistance, celui qui se fait appeler "Alain" poursuit sa mission de délégué au sein du Comité français de la Libération nationale. En dépit des divergences et des vives querelles politiques, Daniel Cordier et ses collaborateurs poursuivent l'œuvre de Jean Moulin initiée par le général De Gaulle et en mai 1943 est fondé le Conseil national de la Résistance française. Écrites quarante ans après les faits qu'elles relatent, les mémoires de Daniel Cordier ont pour partie un gout d'inachevé. Pourtant, lire ce monument de l'histoire de la Seconde guerre mondiale c'est plonger au cœur d'événements où se mêlent la peur d'être arrêté, la lassitude devant l'ampleur d'une telle tâche, mais aussi la force de caractère et le courage d'un résistant obstiné.
Ce second volume des mémoires relate la vie quotidienne de Daniel Cordier au sein d'un France qui sort meurtrie d'une guerre fratricide. Le jeune homme de 1942 a bien changé et c'est ce cheminement intellectuel, enrichi de rencontres marquantes et décisives qui nous est raconté : son repas avec Raymond Queneau, ses discussions avec Malraux et le colonel Passy, sa collaboration avec Hessel à la rédaction du livre blanc du BCRA, son regard sur les positions des intellectuels du Paris occupé à l'instar d'Albert Camus, Jean-Paul Sartre ou encore Pierre Kaan. On y découvre aussi sa passion naissante pour l'art distillée par Jean Moulin et dont l'auteur fera son métier dans la France d'après-guerre.
Les mémoires de Daniel Cordier sont le récit d'un parcours initiatique dont l'auteur n'est jamais complètement revenu. Car comme il le précise, s'il sort grandi de toutes ces épreuves, son retour à la vie civile au lendemain de la guerre n'en est que plus bouleversé: "Bien qu'ayant travaillé en France pendant près de deux ans sous l'Occupation, je ne reconnaissais plus la France d'autrefois et surtout les Français". Décédé le 20 novembre 2020, celui qui fut l'avant-dernier compagnon de la Libération encore en vie, nous lègue un témoignage inestimable et riche d'enseignements.