Un coup de coeur de Jérémy Gadras
Ses peintures et dessins ne furent pas les seuls témoignages de ses hurlements silencieux, cédant allégrement pour l’écriture, délaissant son pinceau au profit d’une plume complice, l’artiste fut également un poète aussi maléfique qu’étincelant d’une luminescence contenue dans des vers d’une rare et simple beauté, au croisement d’un romantisme noir et d’un expressionnisme funèbre porté par de bilieuses couleurs et une ligne cernant les blandices de corps affligés, tendus, recroquevillés, chantant tant la douleur que l’amour charnel passionné. Des âmes errantes, tel son autoportrait non peint mais formulé, où y figure son « grand bonhomme blanc à la fumée bleu » qui « traverse la terre au parfum de cave, et rit et pleure »
Si l’on lit en filigrane la torture d’un être solitaire et fou d’afflictions personnelles ; comme autant d’analogons à ses œuvres graphiques ; ses poèmes n’invoquent pas moins un nouveau souffle vital, un nouvel espoir palliant aux affres de n’être simplement qu’un homme, de naître qu’homme déjà entaché des écueils d’une chair moribonde dès sa parturition. « Je suis à moitié né, je suis complètement mort », affirmait le poète Georg Trakl, ce à quoi aurait pu répondre Schiele : « Je suis un être humain, j’aime la mort et j’aime la vie ». Comme le poète austro-hongrois, Schiele se voyait comme un homme sans qualité, sans identité, peignant et dépeignant des âmes similaires ; de l’ami écrivain à la jeune fille sans nom, en passant par les prostitués et pauvres vagabonds sans mansardes qu’ils côtoyaient.
Dans ce recueil Je peins la lumière qui vient de tous les corps, résonnent les chants maladifs d’une époque troublante et d’une exigence malaisée pour devenir « artiste » ; devenir ce rien qui représente tout, ce « vagabond des étoiles » qui souffre mais s’octroie la jubilation quasi mystique de céder aux tentations artistiques et à l’imaginaire, brut mais enivrant.
Outre une sélection pertinente de poèmes, l’édition revient sur quelques correspondances toutes aussi fortes en sens et significations, stimulant de plurielles émotions et de saisissantes surprises qui dévoilent une nouvelle personnalité, peu attendue, au-delà du simple peintre dissident, dément ou aliéné ; caractères ou lieux communs qu’on lui prête aisément, et que l’on aime à penser.