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Un coup de coeur de Matis D.
Une lecture envoûtante, à mi-chemin entre l'essai philosophique, le catalogue d'exposition et la science-fiction immobilière. Aussi surprenant que brillant !
Théorisé outre-Atlantique au début des années 2000, le concept de post-vérité semble connaître un regain d'intérêt éditorial. Qu'elle se manifeste au travers de certains médias désinformateurs propageant les fausse-nouvelles, d'algorithmes sur les réseaux sociaux vampirisant l'attention, ou de certaines bulles idéologiques de la blogosphère internet, le voile du réel par endroit se délite, et semble laisser place à certaines hallucinations troublantes.
Philosophe et auteur français connu pour ses essais spéculatifs proches de l'anticipation, Pierre Cassou-Noguès met l'IA générative au cœur de son dernier livre Les images pyromanes chez UV éditions. Accompagné de Gwenola Wagon, artiste également attachée aux projections narratives dans des univers paradoxaux, ce nouvel essai littéraire se loge au sein d'un récit encadrant : deux agents immobiliers qui, dans un monde meurtris par les catastrophes, utilisent la plateforme, une IA générative d'images pour alimenter leur portefeuille d'agence.
Au travers de ce processus littéraire, déconcertant de prime abord, les deux auteurs théorisent habilement le rapport qu'a l'IA (ou plutôt les images qu'elle génère) au réel. Ici, l'écran de l'ordinateur devient le passage vers cette post-vérité, déformant la réalité au travers de fenêtres sur un monde qui n'existe pas, et qui paraît pourtant si familier. Au milieu de cette lande lynchienne de la post-vérité, inconfortable et contre-nature, les auteurs viennent amener la clé de compréhension du livre en créant le terme de pyropictomanie : le fait de générer et d'apprécier des images, indécemment coûteuses en énergie, dans l'unique but de se divertir. Sur l'autel de la singularité technologique, les pyropictomanes sacrifient l'environnement et leur temps de cerveau disponible.
Entre l'essai et le roman d'anticipation, Les images pyromanes prend parfois les allures d'une étrange exposition, les pages utilisées ici comme les murs d'un musée où sont accrochées ces images générées par ordinateur. Livre unique de par son dispositif littéraire si singulier, il est difficile de le lâcher tant la sensation d'avoir entre les mains la porte sur un monde hanté et surréel est fascinante. En citant tour à tour Ernst Jünger ou Le congrès de futurologie de Stanislaw Lem, Les images pyromanes évite les lieux communs sur l'intelligence artificielle, et remet cette technologie comme objet philosophique à part entière en l'auscultant sous un nouveau jour. Brillant et passionnant, sa beauté froide et sa perspicacité combleront autant les lecteurs de philosophies intéressés par l'IA que les adeptes de science-fiction.