Un coup de coeur de Alexandre
L'auteur centre son analyse et son étude sur l'album Zoniers, dont la majorité des photographies sont issues de la période allant de 1910 à 1913. La "zone" était un anneau de 300 mètres de large qui entourait Paris au-delà des fortifications de Thiers. Cet espace pouvait, à certains endroits, ressembler à ce que l'on appelle aujourd'hui un bidonville. "Cette focalisation singulière sur les zoniers et les chiffonniers pourrait s'assimiler à un dispositif de reconnaissance des vaincus de l'histoire, déconsidérés, stigmatisés physiquement et symboliquement, chassés progressivement du centre de la capitale, puis des lieux qu'ils avaient occupés quelques décennies dans le 13ème arrondissement, et enfin de leurs derniers habitats au-delà des fortifications." Yannick le Marec s'intéresse également à la mise en page et à la confection, par Atget lui-même, de Zoniers. Les choix du photographe n’engendrent pas une organisation des photographies par ordre chronologique ou par unité de lieu. "Les acteurs - ou plutôt les types sociaux - d'Atget entrent en scène, jouent leur partition, sortent un instant et reviennent saluer un peu plus loin, tissant dans l'album une continuité qui n'a rien à voir avec le travail initial du photographe, lequel semble s'effacer pour donner sous nos yeux le spectacle d'un autre monde, sans doute un monde qui pourrait disparaître si l'on adopte le point de vue dominant, mais un monde qui résiste en conservant la trace des valeurs qu'Atget estime au plus haut point, la lenteur, la liberté de mouvement, l'unité de lieu entre la vie quotidienne et le travail. Ses hommes libres apparaissent, laissent place à d'autres, puis reviennent sur l'air d'un "on est toujours là", refrain entêtant de leur résistance."
Yannick Le Marec revient également sur des éléments, certainement méconnus, de la vie du photographe. On apprend, notamment, qu'Atget avait donné plus de 200 conférences au sein des Universités populaires parisiennes. Eugène Atget devait être en accord avec les idées mises en évidence par Yannick Le Marec lorsqu'il écrit à propos de Georges Deherme : "Tout en déclarant vouloir préserver l'autonomie ouvrière, Georges Deherme estimait indispensable de s'allier avec des savants, des artistes pour traiter avec eux de toutes les questions susceptibles d'intéresser le monde ouvrier [...]. L'Université populaire devait devenir ainsi, selon ses propositions, une sorte de société où l'on pouvait mettre en commun non des marchandises mais des idées, et les échanger au profit de tous."
Un texte qui éclaire, par une approche singulière, la vie d'un photographe à l'engagement exceptionnel.