Lit-on encore beaucoup Charles Dickens ?

Curieuse question pour introduire ce commentaire sur l'un des romans les plus prometteurs de cette débordante rentrée littéraire. Mais question cruciale quand on apprend que le sujet de ce livre tourne avec une précision - et parfois une érudition - impressionnante autour de cette figure géniale de la littérature anglaise.

Est-il besoin d'avoir lu Charles Dickens pour apprécier pleinement ce premier roman de Jean-Pierre Ohl ? Deuxième question qui appelle une réponse simple : non... Car le talent et l'intelligence narrative qu'on y trouve suppléent à notre méconnaissance tout en nous invitant à découvrir sans tarder Pickwick, Copperfield ou Twist. (Et un livre qui donne envie de lire d'autres livres, que rêver de mieux ?...)

Ceci dit et afin que les nombreux futurs lecteurs de ce Monsieur Dick ne s'inquiètent pas trop de ces circonlocutions, éveillons leur curiosité.
François Daumal, notre héros, est un fondu de Dickens et comme tous les adorateurs de cet auteur il entretient un culte depuis son adolescence, butant comme tous les autres sur le fameux manuscrit inachevé, Le Mystère d'Edwin Drood, et son impossible résolution, car nul ne saura jamais le nom du coupable imaginé par Dickens parti avec son secret. Son meilleur ami, un séducteur carnassier qui tient à la fois du rival et du bourreau, poursuit la même quête, prêt à tout pour connaître le premier le fin mot de l'histoire. Leur duel va se poursuivre pendant des années, sous l'oeil d'un bouquiniste étrange, M.Krook, qui observe avec inquiétude cette lutte pour ce que d'aucuns appelleraient une chimère. Leur vie va changer quand refait surface dans des conditions mystérieuses, le texte d'un contemporain du grand Charles qui prétend savoir qui a tué Edwin Drood.

Tissé de faux-semblants, de pistes tortueuses où gisent des secrets que l'on voudrait enfouis, de rebondissements imprévisibles, peuplés de seconds rôles particulièrement bien campés, ce superbe roman, hommage de la fiction aux pouvoirs de la fiction, nous entraine dans une aventure aussi complexe que passionnante, au coeur d'un Bordeaux "londonien". Et ce n'est pas son moindre charme que de nous inciter, à peine achevé, à recommencer le premier chapître pour être certain d'avoir saisi toutes les nuances d'un récit d'aventure sans exotisme artificiel au coeur de l'un des derniers bastions de l'imaginaire : la littérature