Un coup de coeur de Mollat
...que la France n'est pas un hexagone, mais une surface carrée ceinturée de cordes. Prenez un écrivain si possible pas franchement commode, offrez-lui un rectangle, de l'épaisseur, et invitez-le à cogner. Avec de la chance, dans la catégorie welter (pas benjamin) le tirage au sort désignera Frédéric Napoléon Roux (ex-champion de France de boxe pour les lecteurs de l'Equipe, ex-Présence Panchounette pour les lecteurs d'Art Press....) et vous pourrez lire un roman saignant où seront illustrés l'art de l'ecchymose, le principe du punch et les quatre temps du swing appliqués à la littérature.
Roux se contrefiche du consensuel et des ventres mous, il aime taper où cela peut faire mal en bon tacticien qui a trouvé un sujet à sa mesure : les années quatre-vingt et son cortège de renoncements, de turpitudes rosacées et d'illusions frelatées, ses loosers magnifiques, ses vainqueurs écoeurants et ses combats truqués où la piqure tient lieu de viatique pour une éternité éphémère.
Son roman n'a pas un héros mais plusieurs : la famille de beurs (avec la fille qui passe de Malika en Marie, de brune en blonde, le fils boxeur sans talent mais acharné, le fils travelo à la droite mortelle mais inutilisable, le père harki qui sombre dans une folie meurtrière, la mère qui finit dans le béton puis la Seine), le plasticien et son galeriste, l'opportuniste et son compère de la sale guerre d'Algérie, le politicien qui grimpe... des trajectoires éclatées mais reliées entre elles sur le modèle du mobile caldérien. Même si on s'agace parfois de la férocité caricaturale du narrateur et des curieuses citations qui émaillent un livre qui n'en a pas besoin, on reste pantois devant la force de frappe de Roux qui lâche ses coups avec détermination, cruauté, finesse et esprit de revanche. Son goût pour le combat et son désir de guerroyer sont communicatifs, sa hargne est subtile, sa précision impressionnante et si l'on rit moins qu'à certains de ses textes plus récents c'est que l'on tremble au détour d'une phrase de se ramasser un projectile contre lequel notre faible gauche ne pourra rien.
Une singulière façon de commencer l'année littéraire avec un protège-dents qui nous changera de l'habituel émail diamant.