Un coup de coeur de Mollat
Pourtant, à 72 ans, quand le shérif Bittersmith apprend qu'il est mis en retraite forcée par le conseil municipal, celui-ci n'a ni l'intention de cesser d'abuser de son autorité pour obtenir les faveurs des femmes, ni de raccrocher les gants quand il est appelé pour un cas d'homicide à la ferme Haudesert. Dans la grange gît, une fourche plantée dans le cou, le cadavre du chef de famille et de la milice anti-communiste du coin, Burt Haudesert. Aucun suspense ne semble permis sur l'identité de l'assassin : après une violente dispute avec son ouvrier agricole, Gale G'Wain, qui lui a demandé la veille la main de sa fille, celui-ci aurait tué son patron avant d'enlever la demoiselle, jolie rousse de 16 ans prénommée « Gwen », diminutif de Guinevre. Pour la dernière affaire de sa carrière, le shérif compte bien retrouver saine et sauve la jeune fille et mettre hors d'état de nuire son ravisseur. Alors qu'une tempête de neige brouille les pistes, Bittersmith ne soupçonne pas que cette quête va l'amener sur le chemin d'une effroyable vérité.
Parallèlement à cette traque impitoyable menée par la police et la milice (désormais dirigée par Cal et Jordan, les frères vengeurs de Gwen), le lecteur suit la fuite du point de vue de Gale qui trouve refuge dans une maison abandonnée et bourrée d'armes, bien décidé à se défendre comme il défend l'honneur bafoué de sa dame, sorte de cow-boy médiéval : comme une note de bas de page l'indique, « Gale G'Wain » fait référence au chevalier « Gauvain » dans la légende de la Table Ronde, et Guinevere rappelle alors la reine Guenièvre…
D'une puissance narrative incroyable, ce roman noir aux allures de western d'un autre temps (alors que l'action se déroule en 1971) nous entraîne loin dans la folie d'êtres qui se mesurent au pouvoir d'une justice impitoyable et d'une nature crépusculaire qui les dépassent. La force éclatante de l'écriture (et de la traduction !) alliée à la pureté romantique des amants maudits qui font face à des hommes animés par la soif du mal (même le shérif Bittersmith est une crapule finie) font de ce roman une des révélations de cette rentrée littéraire.