Un coup de coeur de Mollat
Car Los Enamoramientos devenu Comme les amours pourrait bien être aussi lui-même la traduction d'une formulation française tant ce livre est imprégné de notre littérature, ce qui n'étonne guère quand on connaît l'érudition de celui qui, depuis Ce que dit la majordome paru aux éditions Rivages de la grande époque, nous éblouit par son intelligence qui se joue des frontières et des langues. Travail d'orfèvre que cette traduction d'un livre qui érige le monologue en sciences exactes, c'est-à-dire en enchevêtrement d'hypothèses dont on sort étourdi.
Une personne parle avant tout, qu'on pourrait presque qualifier de personnage mineur de l'intrigue tant elle sait s'amoindrir mais pourtant c'est sa voix, la singularité de sa recherche de la vérité, la sienne comme celle qu'elle tente de percer, qui nous étreignent. Maria Dolz, que nous allons écouter pendant 400 pages exaltantes de finesse, travaille dans l'édition où elle subit toute la journée les névroses d'écrivains qui sont d'autant plus acharnés dans leurs exigences qu'ils sont médiocres : elle a fort à faire notamment avec un faiseur de la pire espèce qui vit sur l'idée qu'il a imposée qu'il était programmé pour le Nobel (ce qui nous vaut des pages saignantes sur ces grands malades que peuvent devenir les écrivains). Son rare moment de détente dans une journée qu'elle sait à l'avance semée de tâches éreintantes est celui qu'elle passe attablée à l'heure du café matinal, à quelques mètres d'un couple qui la fascine tant il traduit un sentiment d'harmonie qu'on cherche chez ceux qui vivent une longue histoire. Elle ne sait presque rien d'eux et hésite même sur le nom du Monsieur, Devern ou Desvern, un homme raffiné et élégant, à la limite de la sophistication, et dont elle croit comprendre qu'il est producteur de cinéma. Ne les connaissant pas, il lui faut un peu de temps pour s'expliquer leur disparition de la terrasse. Elle apprend enfin et reconstitue peu à peu l'horrible fait divers qui a conduit à l'assassinat en pleine rue à coups de couteaux et par un dément de ce Devern. Il va falloir ce drame pour briser la glace entre les femmes, l'éditrice osant surmonter sa discrétion en se faisant connaître de la veuve, Luisa Alday, qu'elle découvre détruite, incapable de surmonter l'épreuve mais qui la reconnaît, l'ayant surnommée « la jeune prudente ». Maria Dolz, qui applique à la vie ce que la littérature lui a enseigné, va explorer ce nouvel univers qui s'offre à sa sagacité et sa curiosité : ce que cachent les apparences, ce que dissimulent les bonnes et les pires intentions, les mobiles des amis qui peuvent masquer des âmes de tueur. Elle fait la connaissance impromptue du meilleur ami du défunt, un homme à femme qui l'a séduit sans rien lui promettre mais dont elle va surprendre le secret, car il semblerait qu'il ne soit pas étranger à cette mort brutale. On s'avisera bien de ne pas raconter ce qui fait un des charmes de ce livre qui parle beaucoup d'autres livres et qui se sert d'auteurs classiques pour comprendre ce que notre présent contient de permanent (avec des pages éblouissantes sur Balzac notamment ou MacBeth où la seule analyse d'un verbe peut occuper de précieuses et lumineuses lignes).
Profus, bavard, tournoyant, avec des rebondissements qui viennent pimenter un roman qu'on croyait plus analytique que dramatique, Comme les amours est un livre qui déclenche facilement l'hyperbole, un roman qui en appelle à notre intelligence, un jeu ébouriffant avec les spectres et le destin. C'est sans aucun doute un des grands romans de cette rentrée.