Un coup de coeur de Mollat
A lire ces quelques lignes, on comprend tout de suite que Tim Ingold n'est pas un anthropologue comme les autres. Professeur d'Anthropologie sociale à l'Université d'Aberdeen en Écosse, il débuta son champ de recherche sur les terres gelées de Laponie. Éclectique, il cherche à penser l'homme dans son environnement, intellectuel déroutant, penseur funambule ne voulant tomber dans aucun précipice des sciences qu'elles soient humaines ou naturelles.
Son premier ouvrage, Une brève histoire des lignes analyse ligne comme une production humaine dont la diversité et la courbure parle de l'homme dans son rapport au monde, à la nature, à son environnement. La ligne qui nous relie à ce qui nous entoure n'aurait-elle justement pas tendance avec notre modernité à devenir incroyablement rectiligne, s'interroge-t-il. Une réflexion dont se sont saisis des architectes, des typographes, des philosophes. Ce travail sur la ligne comme trace ou fil, a su trouver un écho dans différents domaines artistiques. Le musée Georges Pompidou de Metz ne s'y était pas trompé en donnant l'an passé le titre du livre d'Ingold à son exposition sur les lignes.
Marcher avec les dragons participe encore d'une invitation, cette fois-ci à découvrir les textes importants de ce penseur en marge des dictats. Ingold n'est pas d'une chapelle et interroge à loisir Lévi-Strauss, Deleuze, Heidegger ou encore Wittgenstein. Il réintroduit dans l'approche de l'humain sa part essentielle de génie créatif, sa propension à interpréter le monde qui l'entoure. Tim Ingold n'hésite pas à remettre en cause ce « dragon » qui lui semble vivre parmi nous et qui « habite la rupture entre le monde et notre imagination ». Son livre en est une démonstration brillante car on écriture elle-même tisse des liens entre l'expérience, la science, la poésie. L'anthropologue sait raconter les histoires et réenchanter le réel… c'est en cela que son livre est aussi enthousiasmant : ouvrage par ailleurs fort savant, sa force littéraire donne elle aussi matière à connaissance intime de l'autre ; la trace peut-être d'un monde merveilleux que savait nous rapporter cette fois-ci Jack London ou encore Jean Malaurie.
À ne pas rater, le vendredi 14 mars au Musée du Quai Branly, rencontre autour de Marcher avec les dragons en présence de Tim Ingold avec Philippe Descola et Frédéric Keck dans le cadre du cycle Les Classiques contemporains