Un coup de coeur de Mollat
Commencer la lecture d'un roman si désiré ne se fait pas sans trembler : comme au théâtre lorsque les trois coups résonnent et que le temps se fige ou se dilate dans ce moment de tension qui annonce le plaisir à venir, les pages se tournent et le rideau s'ouvre...
Dans une cité où résonnent en échos les tragédies de l'Histoire, empruntant à notre passé comme aux crises de notre temps, chacun se replie sur sa propre peur. L'usine qui fait vivre toute la communauté fabrique des armes en continu et c'est là, au changement d'équipe entre celle du jour et celle de la nuit que se croisent Hama et Bo pour la première fois. Seul le dimanche leur permet d'être ensemble mais l'amour est plus fort, comme une résistance à ce monde qui s'éteint faute de rêves et d'espoirs. Voir ce jeune couple oser s'aimer ravive les couleurs d'un univers bien triste et redonne même l'envie de faire renaître ce cabaret fantasque où l'on boit, chante, s'amuse, oublie... Mais toute chose à son revers et cette parenthèse enchantée est refermée par une catastrophe qui va faire basculer bien des vies et en éteindre d'autres...
Il y aura bien des deuils dans Tant que nous sommes vivants et bien des pertes, des (re)naissances aussi. Bien des bouleversements et des quêtes qui semblent vouées à l'échec quand l'orgueil se fait mauvais conseiller et pousse à tenter de réparer l'irréparable. Tout le roman est traversé, habité, par une extraordinaire pulsion de vie et par l'idée que perdre une part de soi est nécessaire pour que la vie continue. L'amour de Hama et Bo connaîtra son lot d'orages et devra reconnaître son impuissance à vouloir protéger son enfant du tumulte du monde. Et Tsell, à son tour, partira sur leurs traces et racontera le monde à sa façon, affrontant les ombres qu'elle porte en elle. Et dans un pays ravagé par les guerres, forte de ses vingt ans et d'un amour qui permet de tout oser, commencera à reconstruire ce qui semblait perdu à jamais.
Fabuleux voyage initiatique, Tant que nous sommes vivants est un tourbillon où tout se joue et se rejoue sans cesse, un monde fait d'ombre et de lumière. Sur le modèle du Yin et du Yang, l'histoire se dessine, faite des contrastes qui jalonnent la vie : le vide et le plein, le haut et le bas, la quiétude et l'inquiétude, la vie et la mort... Entre le destin collectif d'une population désenchantée et celui, plus individuel des personnages principaux, Anne-Laure Bondoux excelle à émouvoir son lecteur autant qu'à le transporter dans un univers à la fois singulier et universel, peuplé de figures cocasses ou baroques, poignantes ou inquiétantes et invite chacun à partir à la découverte de ses propres ombres, pour peut-être, un jour, mieux les connaître... Un roman absolument incontournable auquel nous prédisons le destin d'un futur grand classique.