Un coup de coeur de Mollat
Le fait de nager en Hongrie, pays qui n'a pas, comme chez nous, une quantité d'eau la bordant de toute part, doit signifier tout autre chose que nos baignades iodées du mois d'Août sur nos plages océanes que le nageur dont il est ici question n'a pu connaître mais qui ne l'a pas empêché de s'ébattre dans des rivières et des lacs, se jouant des tourbillons ou plongeant depuis des ponts en raclant des fonds pierreux, aimant, de préférence, nager loin des regards comme pour retrouver une liberté qu'il aurait laissé à sa femme partie pour l'ouest au temps où le mur de Berlin n'était pas tombé.
De cette femme nous savons qu'elle a franchi le rideau de fer, embarquée, avec une amie, dans une aventure sordide l'assimilant au sort peu envié de réfugiée. On saura qu'elle fait la plonge (mais il n'y a pas de jeu de mots) dans des restaurants qui sont à l'ouest, en Allemagne (là, peut-être).
Mais le vrai nageur, c'est le fils, Isti, suiveur malgré lui de l'errance de ce père que le départ de sa femme a propulsé dans une sorte de non-vivre. Isti, donc, que sa grande mais néanmoins jeune soeur couve d'un regard attendri et inquiet irradie cette superbe histoire ancrée tout un été au bord d'un lac où l'on nage tous les jours.
Mais, peu à peu, nous comprenons qu'Isti ne sera jamais un enfant comme un autre. Empressé de suivre les traces de son nageur de père, réclamant la baignade jusqu'au plus tardif des jours automnaux et trépignant l'hiver non pas à cause du froid mais parce que le lac s'est recouvert de glace et que cette glace l'empêche d'y plonger, Isti laissera dans nos coeurs et celui de sa soeur l'impérissable souvenir qu'il y avait dans sa vie l'ébauche d'un état proche de la sainteté. Nous garderons alors, en refermant le livre, le curieux sentiment d'avoir rencontré un nageur qui nageait vers les cieux.