Un coup de coeur de Mollat
Gratter, racler, fouiller, exhumer, consigner, reconstituer quand c'est possible, des centaines de corps dont il ne reste plus que des os au milieu d'une odeur nauséabonde de putréfaction, tel fut le travail de Clea Koff. Chaque os déterré devient ainsi une preuve à charge contre les meurtriers qui échappent encore à la justice et une pièce à conviction contre ceux qui nient que ces crimes aient jamais eu lieu. Ils permettent aussi aux familles des disparus de faire leur deuil après des années d'incertitude. Ne pas pleurer, ne pas craquer, penser seulement aux os ; telle pourrait être la devise de Clea Koff. Mais au milieu de l'horreur et de l'innommable on sent que cette experte scientifique lutte pour ne pas se noyer dans la douleur et l'émotion, quand ces os cessent d'être des os pour devenir un jeune garçon aux poches plein de billes ou bien une femme au collier rose... "L'envers du décor avait quelque chose de pernicieux. Derrière le squelette, il me montrait le fils, le mari, le frère ou le père disparu d'une de ces femmes que je pouvais croiser dans la rue à tout instant. Cette vision compromettait mon enthousiasme professionnel, surtout si elle pouvait se présenter à n'importe quel moment." écrit-elle dans un moment d'état semi dépressif.
Que ce soit au Rwanda ou en ex-Yougoslavie, cette quête de justice, de vérité et d'humanité lui a permis de continuer, même dans les moments les plus sombres, quand le désespoir grignotait l'enthousiasme et le professionnalisme le cédait à l'émotion. Clea Koff nous a emmenés jusqu'au bout de la folie des hommes avec le sentiment du devoir accompli : faire parler les os afin que justice soit rendue, au nom des morts.