Un coup de coeur de Mollat
Sur cette trame classique, T. Kallifatides met en place un univers complet, cohérent et très fouillé. La construction polyphonique du roman permet de comprendre rapidement la situation, tant intime que professionnelle, des personnages principaux. Evoquée avec une rare noirceur, la vie privée des protagonistes semble à la dérive : Kristina Vendel dont la vie conjugale se transforme en désamour, l'inspectrice Maria Valetieri qui subit les coups et les viols répétés de son mari, tandis qu'Osten Nilson est hanté par sa maîtresse, femme mariée et manipulatrice qui se repaît de sa détresse. Pourtant, le désespoir des ces situations est compensé par un humour noir et corrosif, soutenu par un style incisif et elliptique, qui confère un ton parfois déroutant à ce roman.
La pertinence de ce point de vue est renforcée par la qualité des profils psychologiques des personnages, dont les ressorts empruntent autant à la littérature classique qu'à la littérature policière. Cette vision «en oblique» est sûrement la grande force de ce livre remarquable.
Tableau de la Suède actuelle, l'auteur, en raison de cette vision originale, aborde un thème qui lui tient particulièrement à coeur, rarement évoqué par le polar scandinave : la place et le ressenti de l'immigrant au sein de la société suédoise.
Une conclusion s'impose alors d'elle-même : une voix originale et nouvelle nous arrive, celle d'un auteur confirmé qui a su mettre son talent au service du roman policier de procédure, difficile exercice de style s'il en est.