Philippe Ramette est en effet un artiste curieux et accompli : dessinateur, peintre, sculpteur, il excelle aussi dans la mise en scène photographique, laissant la finalisation à son collaborateur Marc Domage, et figure d'ailleurs dans ses propres réalisations : il imagine toujours des scènes improbables dans lesquelles les objets peuvent être détournés de leur utilisation première. Ainsi peut-on voir l'artiste, toujours en costume, marcher sur les murs ou d'autres surfaces (Crise de désinvolture, Ascension rationnelle, Promenade irrationnelle...), lire son journal au fond de l'océan, léviter à quelques mètres de hauteur tout juste retenu par un fil de fer fixé à un socle. Ces photographies sont très impressionnantes voire renversantes. Prises en grand angle, elles jouent du même coup sur la profondeur de champ qui vient renforcer une sensation vertigineuse déjà bien présente et éprouvée. Comment expliquer que l'artiste se retrouve suspendu à un édifice renversé et risque à tout moment de sombrer dans un immense ciel bleu ? Ces mises en scène surprennent certes sans que l'on puisse jamais les qualifier d'absurdes. Pour reprendre les termes de Philippe Ramette lui-même, disons plutôt qu'il s'agit de « construire de l'irrationnel à partir de rationnel ». Un artiste devant toujours avoir, selon lui, « un regard décalé sur le monde ».

D'aucuns jugent que le travail de Philippe Ramette pourrait à la limite faire penser à celui de surréalistes comme Magritte sur un plan formel. On ne peut s'empêcher d'observer quelques ressemblances dans la formulation des titres et sous-titres des œuvres mais aussi dans les scènes elles-mêmes : Philippe Ramette a parfois le visage totalement recouvert comme les personnages de Magritte et fait appel à des objets semblables, des malles notamment. Pourtant, ces ressemblances s'arrêtent là : l'artiste n'est pas tenté de faire de ses titres des jeux littéraires, ni même de créer des effets de sens. Au contraire, Philippe Ramette recherche plutôt la littéralité dans le choix de ses titres.

Ses œuvres peuvent parfois se teinter de pessimisme mais l'humour n'est jamais bien loin. Elles sont autant d'énigmes à résoudre, car, réalisées sans trucage, elles surprennent, invitent le spectateur à s'interroger sur son rapport au monde et à l'autre bien qu'il n'y ait pas, de l'aveu de l'artiste, une seule interprétation possible : la « vision subjective » du spectateur peut différer de celle de l'artiste, selon lui ; elles s'enrichissent mutuellement.

Inventaire irrationnel est composé en trois parties : d'abord, un entretien entre Jean-Yves Jouannais et Philippe Ramette, puis une analyse fine et minutieuse du travail de l'artiste par son ami Michel Onfray et enfin trois portfolios. Petit plus : la traduction en anglais de l'intégralité du texte pour finir. L'ouvrage est de plus richement illustré par des photographies pleine page et l'accent est parfois mis sur certaines réalisations qui ont nécessité du temps et de la patience : pour Socle rationnel, par exemple, il a fallu recourir à une mise en scène subaquatique : l'artiste, complètement immergé, a les pieds encastrés dans un socle servant de poids. Balcon 2 a également posé problème car il s'est avéré particulièrement difficile d'aligner le balcon et l'artiste avec la ligne d'horizon, la mer n'étant bien entendu pas reconnue pour sa stabilité. Ce qui fait dire à Philippe Ramette que « chaque photographie est une aventure ».

Les styles – puisque différentes personnes s'expriment – savent se mêler en restant clairs et concis, ce qui permettra donc à un grand nombre de saisir l'essentiel du projet artistique. La mise en page est très agréable grâce à des marges avantageuses, à une alternance soignée entre photographies en couleur et texte. La typographie, enfin, en parfaite adéquation avec le contenu, contribue à la lisibilité de l'ensemble. Ce livre a aussi le mérite de mettre en avant les différentes techniques artistiques qui ont intéressé Philippe Ramette : la photographie mais aussi la sculpture et l'encre sur papier... De nombreux publics y trouveront donc leur compte.