Sept rois, deux régentes, un régent, voilà les dix personnages qui vont constituer la famille régnante des Bourbons de France, de la fin de la Renaissance, au moment où l'univers européen bascule définitivement de l'âge médiéval à l'âge moderne, jusqu'à la naissance de l'ère industrielle qui va bouleverser les rapports des classes sociales et changer les ambitions des hommes. Dix individualités, puissamment caractérisées dans la mesure même où elles coïncident avec leur fonction et qui tiennent de cette fonction leurs traits essentiels. A travers chacune d'elles, où commence l'homme, où commence le roi ? Avant tout, ils sont ce que la société dont ils vont assurer la direction fait d'eux ; ils sont des images créées par les peuples qu'ils mènent sur les chemins de l'histoire. Aussi leurs histoires d'hommes, ou de femmes dans le cas de Marie de Médicis et d'Anne d'Autriche, sont ici d'importance secondaire... Etablis au coeur de la cité des hommes, ce sont d'abord des politiques. Et c'est comme politiques qu'ils constituent un sillon continu dans le champ de l'histoire des Français. C'est dans la mesure où la totalité de leur être s'est confondue avec leur destin politique qu'ils ont été vraiment, avec plus ou moins d'intensité, des rois...

Ces Bourbons qui vont se relayer comme pères, bénis ou maudits du peuple, de 1589 à 1830, sont à des titres divers l'incarnation d'un Etat relativement déterminé de cet être qui s'appelle la France. Ils ont été les symboles d'une certaine manière d'exister, de travailler, de créer. En quoi ces symboles sont-ils fondés ? Comment chaque roi s'est-il plus ou moins confondu avec eux ? C'est ce que nous essaierons de décrire, en ces deux siècles et demi, où la France n'a cessé de se faire elle-même, d'affronter de nouvelles épreuves pour prendre conscience de son véritable pouvoir. S'il fallait justifier cette tentative, nous dirions volontiers que, dans l'histoire de l'Ancien Régime, l'histoire des Bourbons est la trace la plus immédiate et la plus aisément discernable que nous ait léguée le temps perdu. Dans l'immense mémoire où s'accumulent les riches et multiples existences françaises, qu'elles fussent nobles, bourgeoises ou prolétaires, les stratifications supérieures sont plus faciles à récupérer, à replacer dans la clarté que les zones inférieures dont les empreintes resteront longtemps et pour toujours peut-être enfouies dans le silence des saisons mortes.

Claude Mettra.