Créer un homme nouveau, capable de relever et de rénover le pays, représente l'un des objectifs majeurs du régime issu du désastre de 1940. Or, pour cela, Pétain a besoin de jeunes. Mais Vichy ne veut plus de ces "pseudo-jeunes" d'avant-guerre, débraillés, ergoteurs et uniquement soucieux de leurs petits plaisirs. Il faut former de "vrais jeunes", sains dans leur corps et leur esprit, francs et virils, habités à nouveau par les "vertus traditionnelles de la race". Pour forger ces chics types qui assureront la pérennité de la Révolution nationale, une politique est mise en place, visant à travers la famille, l'école, le lycée, l'université et les mouvements de jeunesse, à donner aux jeunes une solide formation physique, civique et morale destinée à en faire de fervents adeptes de la cause maréchaliste, en même temps qu'un enseignement débarrassé des influences laïques socialisantes et maçonniques responsables de la défaite. Les jeunes représentent un enjeu que se disputent âprement le gouvernement, les organisations collaborationnistes qui voient en eux le fer de lance d'une nazification, et enfin l'Eglise qui, si elle est favorable à une jeunesse unie sous la bannière du Maréchal, s'oppose farouchement à la mise en place d'une jeunesse unique, inféodée aux idéaux fascistes, telle que la voudrait un Abel Bonnard.

Vivante, intelligente, nourrie de témoignages et d'exemples significatifs, émaillée de remarquables portraits des grands acteurs et protagonistes - Carcopino, Chevallier, Abel Bonnard, Borotra, La Porte du Theil, Dunoyer de Segonzac, etc. -, cette première Histoire de la jeunesse sous Vichy décrit à merveille le saisissant fourmillement de projets, de réformes, d'initiatives, qui s'est alors manifesté. Et Pierre Giolitto montre bien le fréquent décalage entre les principes, les directives, leur application et la manière dont ils sont vécus par les jeunes.

Mélange de bienveillance, d'autoritarisme et d'exclusion, de créativité louable et de dirigisme irréaliste, la politique de Vichy n'a pas eu les résultats escomptés par le pouvoir : moyens insuffisants, résistance ou inertie d'une partie des cadres, rationnement, occupation, méfiance des Allemands, bombardements, etc. Mais il n'en reste pas moins qu'elle a provoqué l'entrée des jeunes en tant que force collective et organisée sur la scène nationale, et que plusieurs mesures de Vichy seront reprises après la Libération.