A la fin des années 60, un réfractaire à la guerre d'Algérie se rend en Allemagne et y séjourne quelques temps. Quarante ans plus tard, il se souvient et écrit à Fritz Lamm, un Allemand résistant, qu'il a connu alors à Stuttgart. Deux récits prolongent cette lettre et fournissent une synthèse sur l'après-guerre. ©Electre 2024

En 1936, Lawrence Durrell est à Corfou. Il a vingt-cinq ans. Depuis deux ans, il correspond avec Henry Miller, qui lui conseille : «N'écrivez que ce qui vous fait envie. Il n'y a rien d'autre à faire en ce monde, sauf si vous tenez à la célébrité.» Durrell écrit alors son premier livre, Le Carnet noir, qui est pour lui un véritable agôn, «une furieuse bataille orientée tout entière vers la découverte de soi». Il envoie l'exemplaire unique du manuscrit à Miller, qui lui répond : «Le Carnet noir est brutal, cruel, dévastateur, terrifiant. Aucun éditeur anglais ou américain n'osera le publier. Je réfléchis pour vous à cette question. Ce livre est comme une peste noire.»

Nous ne sommes plus en 1937, date de la publication du Carnet, mais, en ce début du XXI^e siècle existent encore des hommes qui doutent, qui deviennent fous du monde ou d'eux-mêmes, qui refusent de s'y intégrer et traversent une bataille idéologique, mentale, sexuelle ou affective. La collection Le Carnet noir propose les écrits de ceux qui ont vécu pareille expérience où l'écriture tient une place obscure et essentielle.

«Au Vernet, on a interné les communistes des Brigades internationales, les anarchistes de la Colonne Durruti, les antifascistes allemands et, pour faire bonne mesure, des Juifs en tant que tels. C'est là une face sombre de l'histoire du "droit des gens", en l'occurrence le droit bafoué des réfugiés politiques en France. Après coup, le Vernet apparaît comme un des chemins de traverse les plus courts, conduisant de Paris à Vichy, sans oublier le détour par Roland-Garros...»

Un réfractaire à la guerre d'Algérie se réfugie en Allemagne en 1960 et y séjourne quelque temps. Quarante ans plus tard, il se souvient et écrit à Fritz Lamm, forte personnalité qu'il a connu alors à Stuttgart et dont il retrace le parcours avec empathie. Allemand, résistant de la première heure au nazisme, juif, libre penseur et socialiste révolutionnaire, «apatride», indésirable en France, Fritz Lamm sera interné en septembre 1939 au camp du Vernet, près de Toulouse. Il réussira à gagner Cuba en 1941.

Les récits qui suivent cette lettre à l'ami Fritz la prolongent. Ils retracent l'itinéraire personnel de l'auteur dans le contexte si particulier de l'après-guerre.