Un coup de coeur de Mollat
Non seulement ce patelin perdu au sud de l'Ohio a un nom impossible à prononcer, mais en plus il regorge de quelques uns des plus grands dégénérés que l'Amérique ait jamais porté. Entre celui qui, traumatisé par l'enfer du Pacifique, dresse dans la forêt un arbre à prière et sacrifie des animaux dans l'espoir de sauver sa femme malade ; ce jeune couple qui instaure un jeu malsain avec les auto-stoppeurs avant de les dépouiller de leur argent... et de leur vie !; ce prédicateur qui tue la femme de son ami avec un tournevis et attend patiemment qu'elle ressuscite ; et ce guitariste invalide et obsédé sexuel, les protagonistes de ce cauchemar s'entraînent mutuellement dans la grande sauvagerie humaine et n'attendent aucune rédemption. Comme il en est question dans le titre de ce roman éblouissant de noirceur, la figure du Diable est omniprésente. Quant à Jésus, on en parle souvent, mais on a bien de la peine à se l'imaginer prêcher dans ce décor de fin du monde.
Il y a incontestablement du Cormac McCarthy dans cette grande folie. On pense aussi à Flannery O'Connor et Jim Thompson. Les lecteurs de Laura Kasischke ne seront pas non plus dépaysés. Comme cette dernière, Donald Ray Pollock a une écriture qui rend beau l'immonde, sublime le glauque, éblouit avec une encre intensément noire et dévastatrice.
Après Knockemstiff, le recueil de nouvelles qui a d'entrée de jeu propulsé son auteur au rang des voix montantes de la littérature américaine, Donald Ray Pollock confirme avec ce premier roman tout le bien que l'on pense de lui. Élu meilleur livre de l'année 2012 par le magazine Lire, nous ne pouvons que saluer ce choix audacieux et nous parions que ce beau Diable saura se placer comme un classique du genre.