Éditorial du n°2 de CaMBo, par Jean-Marc Offner
Directeur général de l'a-urba,
agence d'urbanisme Bordeaux métropole Aquitaine
:
De quoi parle-t-on dans CaMBo ? s'interroge légitimement le nouveau lecteur des Cahiers. De
villes et d'aménagements, de métropoles et de modes de vie, d'urbanisme... Mais qu'est-ce que
l'urbanisme ? « Vivre, c'est passer d'un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se
cogner ». Avec cette belle phrase extraite de son Espèces d'espaces, George Perec aide à formuler
une réponse. Car le sujet prête à débat ! « Méthodes permettant d'adapter l'habitat urbain aux
besoins des hommes », indique le Petit Robert. Soyons franc : pour tout un chacun, l'urbaniste
construit des villes, comme un architecte construit des immeubles.
Erreur ! Listons quelques-uns des grands dossiers de l'urbanisme contemporain : la mixité
sociale et fonctionnelle, l'implantation des équipements collectifs, la voirie et ses réseaux, la
nature en ville, le trafic automobile, la vie de quartier, les « circuits courts » d'approvisionnement,
les zones d'activité, l'accessibilité aux services, l'étalement urbain... De quoi est-il question
? De distance ; de proximités et d'éloignements. L'urbaniste s'occupe moins des lieux que
des liens. Ainsi, Alexandre Chemetoff définit-il justement l'urbanisme comme « l'art de la
liaison, de la relation, de l'entre-deux ». Et les géographes rappellent que la ville a été créée pour
maximiser les interactions spatiales.
C'est pour cela que l'espace public et le paysage – qui mettent en scène les perspectives, qui
donnent à voir le proche et le lointain – sont aussi importants, que la question de la mobilité est
essentielle, trop souvent réduite à une politique sectorielle alors que l'ensemble des fonctionnements
urbains en dépend.
L'architecte n'est certes pas dénué de moyens pour concevoir « la ville des justes distances »,
comme l'y invite Manuel de Solà Morales, architecte-urbaniste barcelonais : mesures, proportions,
densités. Dans ce travail d'ajustement, l'urbaniste dispose néanmoins d'une boîte à outils
mieux garnie, avec du hard et du soft : l'urbanisme visible de la localisation des activités, du
maillage des infrastructures, de la composition des espaces ; l'urbanisme invisible des flux économiques,
des réseaux sociaux, des pratiques et représentations des citadins, des temporalités.
La grande ville du XIXe siècle fut inventée grâce à l'urbanité, comprise comme maîtrise des
distances entre les inconnus de la foule des grands boulevards et des transports collectifs.
D'aucuns voient aujourd'hui dans l'habitat péri-urbain une façon de trouver la bonne distance
par rapport à son voisin. En philosophe, Arthur Schopenhauer a fort bien résumé l'affaire avec
sa fable des hérissons : pour se protéger du froid, ils se serrent ; mais ils se piquent mutuellement
avec leurs aiguilles, alors ils s'éloignent. Et ils se rapprochent à nouveau... Les porcs-épics n'ont
pas la vie facile ! Les urbains non plus : entre proximité conviviale et promiscuité infernale, il
n'y a parfois que la hauteur d'un mur, l'épaisseur d'une haie, la largeur d'un pas.
Faire de l'urbanisme, c'est donc intervenir sur les espacements. C'est réguler le proche et le
loin, entre les individus, entre les activités, entre les bâtiments, entre les quartiers, entre les
villes et les territoires.
Dans la métropole bordelaise, où des frontières naturelles nombreuses se conjuguent à des
divisions socio-spatiales et fonctionnelles marquées, ce questionnement sur les espacements
est central : le Grand Parc et le parc Rivière, Bacalan et les Chartrons, Bordeaux-Lac et le centre-
ville, les deux rives, Cestas et la Cub, Langon et Libourne, Bordeaux et Toulouse... Trop
près, trop loin ?