Dans cet entretien dense et éclairant, Philippe La Sagna, psychanalyste, décrypte la douzième édition du séminaire de Jacques Lacan, "Problèmes cruciaux pour la psychanalyse", publié aux éditions du Seuil. L'ouvrage, établi par Jacques-Alain Miller, retrace les enseignements de Lacan durant l'année 1964-1965, période charnière suivant son excommunication de l'IPA et la création de l'École freudienne de Paris.
Le séminaire, qui fait suite aux "Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse", s'inscrit dans un contexte de refondation et d'élaboration collective. Il se distingue par la mise en place d'un séminaire "fermé", où des non-analystes (dont Jacques-Alain Miller et Jean-Claude Milner) discutent et questionnent les avancées de Lacan. Ce dispositif visait à rendre l'École freudienne vivante, en engageant les participants dans une "action" et un "style de vie" qui mettent en jeu le désir de chacun.
Philippe La Sagna met en lumière les trois problématiques centrales abordées par Lacan dans ce volume : la question du sujet, la critique des théories du langage et l'introduction de la topologie.
La question du sujet, initialement thème central du séminaire (titré "Les positions subjectives de l'être"), est abordée sous l'angle du rapport du sujet au savoir. Le psychanalyste explique comment Lacan développe l'idée du "sujet supposé savoir", une supposition qui est le ressort même du transfert en analyse. Cette hypothèse initiale, nécessaire à l'entrée en cure, est amenée à chuter en fin de parcours, révélant la position de l'objet (a) et la dimension de jouissance propre à chaque sujet. Cette "destitution du sujet" est une trouvaille de Lacan qui prépare la théorie de la fin d'analyse et le dispositif de la "passe".
Concernant le langage, Lacan opère une rupture avec les courants de l'époque (Russel, Chomsky, Piaget) en soutenant qu'il n'existe pas de "métalangage". Le langage ne peut se formaliser lui-même. La psychanalyse, à l'opposé des recherches actuelles en intelligence artificielle, ne cherche pas à fixer le sens, mais à rendre compte de ce qui échappe au langage : la dimension du sujet et de l'objet (a).
Enfin, la topologie est présentée comme l'outil qui permet de sortir de la pensée de la sphère et de rendre compte des liens intimes et paradoxaux entre l'intérieur et l'extérieur, le signifiant et le signifié. La bande de Moebius et la bouteille de Klein, par leurs propriétés de continuité, illustrent comment l'inconscient peut être une "extériorité en moi-même". Dans cette logique, la "coupure" devient l'instrument d'intervention de l'analyste, qui vise non plus à ponctuer le sens, mais à extraire l'objet de désir et la jouissance du sujet.
En conclusion, Philippe La Sagna aborde des sujets annexes mais tout aussi cruciaux comme le concept du "nom propre" et du "trou", la dimension de la "post-vérité" et du "gadget" dans notre société, et la notion de l'être du "symptôme". Il clôt l'échange sur une note poétique en commentant le tableau "Le Cri" de Munch, montrant comment le cri produit un silence, un silence qui est au cœur de l'analyse, et qui révèle la réalité du sexe comme un trou fondamental dans le savoir.
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