Un coup de coeur de Mollat
Le mystère est enfin levé ! Aujourd'hui, aujourd'hui enfin, je comprends... Je comprends la nécessité de m'extasier, enfant, devant ces albums pleins d'images bariolées avec comme unique sous-titres ces mots en gros caractères décomposés en syllabes. Je saisis mieux l'urgence d'apprendre à déchiffrer ces signes étranges que d'aucuns appellent des lettres et qui, mis bout à bout, ont parfois l'audace de former des mots, puis carrément des phrases. Enfin, je réalise l'importance de ces décennies de lectures avides de tout ce qui me tombait sous la main : ce n'était qu'un prélude à ma rencontre avec Dino Egger !
Né sous la plume folle d'Éric Chevillard, Dino Egger habite à lui seul un roman éponyme complètement délirant qui vient de paraître aux éditions de Minuit. L'auteur si peu conventionnel d'Oreille rouge et du Vaillant petit tailleur (qui vient par ailleurs de sortir dans la collection «Double »), dont le blog a récemment fait l'objet d'une série de publications sous le titre L'autofictif, a entrepris de nous raconter dans son dernier roman l'histoire insensée de ce personnage qui aurait changé la face du monde si seulement... il lui avait été donné d'exister. C'est ainsi qu'il décide (enfin) de remédier à ce manque cruel dont ont pâti des générations entières d'êtres humains - « nous sommes tous les misérables orphelins de Dino Egger », s'exclame-t-il - et de donner pour ainsi dire naissance à cet être si exceptionnel, illustrant par la même occasion avec brio la puissance du Verbe. Il nous fait part avec force détails, il faut en convenir, mais quand on n'aime on ne compte pas, de ses investigations à la recherche d'éléments biographiques attestant de la non-existence de son héros, ponctuant son récit de toutes les trouvailles qui font tellement défaut à ce monde et que seul le génie de Dino Egger aurait pu concevoir. Quoi de moins original, pourriez-vous m'opposer, qu'un écrivain qui se prend pour un démiurge et ce avec emphase perdu à la création de son personnage ? Dans le cas de Dino Egger, si le lecteur garde certes en tête son caractère hautement fictif, il n'a cependant d'autre choix que celui de se laisser happer par cette histoire invraisemblable jusqu'à désespérer en cœur avec l'auteur et la communauté des lecteurs de l'inexistence de son personnage.
En un mot ce petit bijou de loufoquerie, d'inventivité et de mégalomanie promet bel et bien de tous nous arracher à la bougonnerie ambiante, que nous le voulions ou non !