Un coup de coeur de David Pigeret
« L'Homme est un rat pour l'homme » comme le souligne Michel Serres dans son texte impitoyablement lucide, Thanatomanie humaine, qui clôt ce catalogue d'exposition. Un Goût de la mort particulièrement vif au XIXème et au XXème siècle.
La révolution de 1789 nous a offert la démocratie et la terrible guillotine (une mort propre dont la Terreur montra la grande efficacité et qui a remplacé le spectacle des supplices de l'Ancien Régime) mais aussi un important changement de la procédure pénale : l'audience criminelle est ouverte au public. Un bouleversement qui signe l'entrée en scène de la figure du héros criminel dans l'imaginaire collectif. Il n'est plus ancré dans le mythe ou l'histoire : il est là vivant, parmi nous. On apprend son histoire, son crime dans ses moindres détails et sa figure que l'on peut scruter à loisir.
Le public, grâce l'essor de la presse populaire, se délecte de faits divers, de la chronique judiciaire mais aussi des héros criminels qui pullulent dans la littérature feuilletonesque depuis que Victor Hugo a publié Dernier jour d'un condamné (1829) qui narre la confession d'un assassin vingt-quatre heures avant son exécution. La science, évidemment, s'empare de la figure du criminel pour le comprendre, le reconnaître, voir prévenir les crimes et éviter les récidives : naissance de la nouvelle discipline médicale de la psychiatrie grâce aux travaux de Pinel et Esquirol ainsi que de nombreuses théories dont certaines ne sont pas sans échos contemporains : physiognonomie de Lavater, phrénologie de Gall, traité des dégénérescences de Morel, théorie du criminel-né de Lombroso…
Les artistes sont aussi fascinés par le crime et sa puissance de transgression. Leurs créations, souvent hallucinantes, sondent le mystère de la figure du criminel, saisissent la folie du geste assassin et l'horreur non moindre du châtiment, de la prison à la peine de mort.
Le catalogue d'exposition de Crime et châtiment avec ses précieuses contributions développe et illustre tous ces thèmes de manière admirable. Jean Clair livre ici une exposition aussi forte que Vienne 1880-1938, Apocalypse Joyeuse (1986) ou Mélancolie (2005) et signe un texte brillant : Naissance de l'acéphale sur la figure fascinante d'une tête sans corps né de l'imaginaire de la guillotine et d'un corps sans tête dont il fait un emblème de notre XXème siècle…