Un coup de coeur de Mollat
Marie Didier est médecin ; elle a reconnu en Pussin un frère, un ami lointain, quelqu'un qui par compassion et empathie, a compris qu'en redonnant un peu de dignité aux aliénés, on leur rendait leur statut d'être humain. Pour cela, elle s'adresse à lui en le tutoyant, comme s'il était un proche et non ce misérable tuberculeux qui fut admis un jour de 1771 à Bicêtre pour ne plus en sortir. A cette époque, Bicêtre sert à la fois d'hôpital, d'asile mais aussi de prison où les pauvres valides et invalides côtoient les enfants abandonnés, les vieillards, les prisonniers et les incurables. Entassés pêle-mêle avec les criminels et les vagabonds, les malades mentaux sont parqués comme des bêtes, condamnés à une réclusion perpétuelle, regardés comme des êtres inutiles et dangereux. Marie Didier nous livre le portrait hallucinant d'un peuple de proscrits survivant dans des conditions intolérables : couchés sur des grabats de paille pourrie dans des loges immondes, humides et glacées, grouillantes de vermine. Dans ce cloaque infect, ils sont enchaînés, affamés, roués de coups par leurs gardiens, d'anciens malfaiteurs cruels et violents.
Ayant eu la chance d'être déclaré guéri, Jean-Baptiste Pussin va rester à Bicêtre, ne pouvant subvenir à ses besoins à l'extérieur. Bien que d'origine modeste, il est remarquablement intelligent et va monter les échelons grâce à son insatiable curiosité et son instruction ; d'abord maître des enfants, il est nommé « gouverneur des fous », poste auquel il va consacrer son existence. Jour après jour, avec un courage inébranlable et une observation assidue, il va approcher les fous, gagner leur confiance, les traiter avec douceur, améliorer leurs conditions de vie, jusqu'à finir par les déchaîner. La postérité n'a gardé en mémoire que le nom de Philippe Pinel, qui fut un des premiers médecins aliénistes et le contemporain de Pussin ; Pinel qui cependant lui fait confiance et témoigne dans ses écrits de l'intérêt qu'il porte au travail dans l'ombre de Pussin.
Marie Didier avance au fil de ses recherches dans les archives ; elle marque des pauses, fait le lien avec l'actualité et notre temps, et nous invite à nous poser quelques questions sur la condition humaine. Sa proximité avec Pussin vient d'une compréhension troublante de la souffrance psychique, elle nous émeut et nous interroge ; la littérature a parfois ce pouvoir.