Un coup de coeur de Mollat
Le gros roman qui paraît ces jours-ci chez Philippe Rey est inspiré d'un fait divers qui bouleversa cette Amérique si prompte à s'émouvoir puis à oublier : l'assassinat d'une fillette de six ans, vedette de ces concours de beauté pour enfants qui déshonorent un peu plus ce pays où l'apparence vaut toutes les misères. La petite, rebaptisée Bliss par Oates qui en fait ainsi son personnage, a commencé par un succès sur la glace avant de finir dans le réfrigérateur d'une morgue où l'a conduite une mort brutale et non élucidée un soir de Noël.
C'est parce qu'il veut enfin savoir ce qui s'est passé que son frère, rendu fou par cette histoire et trainant depuis un mal de vivre qui en a fait un drogué balloté d'instituts en centres de thérapie, va entreprendre de reconstituer l'histoire et laisser remonter dans son cerveau abimé les indices qui mèneront à une vérité douloureuse.
Que penser du père, ce coureur de jupes débordé de travail ? De la mère, cette frénétique qui se sert de sa fille pour assouvir ses ambitions et voit en elle une grâce divine ? De l'entourage qui cache peut-être un dingue ?
Oates a le droit que lui confère son talent et si, en vrai, nul n'a jamais su ce qui s'était passé, elle imagine un coupable. Mais ce sera à vous d'aller à sa rencontre. Parce que Joyce Carol Oates sait qu'au coeur de la folie et du crime réside la réponse aux questions qui nous tourmentent ; parce qu'elle connaît aussi notre terrible attraction pour le spectacle du mal, elle nous saisit à coup de scènes affolantes, elle nous séduit en racontant cette société devenue folle où chaque quotidien dissimule un crime en puissance. Joyce Carol Oates a quelque chose de diabolique mais on n'ignore pas le plaisir qu'il y a à côtoyer le démon, surtout le démon de la littérature...