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Cesare Battisti : les années de plomb dans l'aile

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Publié le 17/02/2004
Cesare Battisti, écrivain de romans noirs italien, ancien militant d'extrême gauche réfugié en France, a été arrêté mardi 10 février et placé sous écrou extraditionnel.

Concierge
C'est un écrivain, gagnant sa vie comme concierge d'immeuble parisien, qui se retrouve aujourd'hui en prison.

Ubiquité
Cesare Battisti était réfugié en France depuis 1990 après un long exil au Mexique. Ancien fondateur et leader d'un groupuscule révolutionnaire, les Prolétaires Armés pour le Communisme (PAC), il avait, terme des années 70 et d'un engagement armé et clandestin, rompu avec la doctrine de la violence. Battisti avait déjà fait l'objet d'une demande d'extradition de la justice italienne en 1990. En mai 1991, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris avait donné un avis défavorable à cette requête et le garde des sceaux d'alors avait renoncé à l'extradition au motif que Cesare Battisti bénéficiait de ce que les spécialistes appellent la « jurisprudence Mitterrand » qui garantissait l'asile à tout ancien activiste italien ayant renoncé à ses activités violentes et clandestines, ce qui était le cas pour Cesare Battisti. Cette jurisprudence s'appuyait notamment sur le fait qu'au contraire de la France, la justice italienne ne rejuge jamais ses condamnés par contumace. Le procès de Battisti avait, selon ses partisans, été entaché d'irrégularités, ses principaux accusateurs étant des « repentis » ayant tout intérêt à charger la mule du romancier en fuite... D'autre part, deux, parmi les nombreux meurtres qu'on lui attribuait, auraient été commis le même jour, à la même heure dans deux villes distantes de plusieurs centaines de kilomètres !

L'arrestation de l'écrivain fait suite à une nouvelle demande d'extradition de la part des autorités italiennes. La doctrine Mitterrand s'était vue remise en cause lors de l'extradition de l'universitaire italien Paolo Persichetti, ancien membre de l'Union des Communistes Combattants.

Ecrivain
Cesare Battisti ne se cachait pas. Titulaire d'un titre de séjour, il publiait régulièrement des ouvrages pour la plupart centrés sur un travail de mémoire, sur des vies d'exilés, sur des feux éteints que l'histoire rallume, sur la vengeance et la mémoire. Il a également écrit pour la jeunesse. A ceux qui doutent de la sincérité de son changement de cap, on citera ces quelques mots publiés dès 1988 : « J'ignore le moment précis et les raisons qui m'ont poussé à imprimer un tournant à ma vie, mais j'ai probablement compris, d'une façon ou d'une autre, que j'étais arrivé au terminus, et cela a constitué mon salut. J'ai échappé au boyau mortel dans lequel je m'étais fourvoyé par un simple glissement de l'angle sous lequel j'observais les choses. »

En France, parmi la communauté des écrivains, cette arrestation connaît un retentissement certain. Il est vrai qu'une bonne part des éditeurs de romans noirs actuels a appartenu à cette mouvance d'extrême gauche qui en a vu plus d'un basculer dans l'action violente et la clandestinité. « A la Gauche Prolétarienne, nous nous sommes posés la question de la lutte armée. Je n'arrête pas de me dire qu'on aurait pu se retrouver dans la situation de Battisti. » avoue Patrick Raynal, directeur de la prestigieuse Série Noire.

Manifestation
Hier, ils étaient plusieurs centaines, écrivains tels Dan Franck ou Régine Desforges, élus Verts et PC ou anonymes à manifester devant la prison de la Santé où Battisti attend l'avis des juges et la décision du ministre de la Justice. Philippe Sollers présent aux côtés des auteurs a déclaré « il s'agit d'un déni de justice flagrant,... » Une pétition circule également sur Internet qui a déjà recueilli plus de 3000 signatures, elle est hébergée par le site Mauvais Genres, Mecque électronique du polar français, auquel participent Claude Mesplède et Bernard Strainchamps.

Italie
En Italie, le débat est plus partagé entre ceux qui pensent que le devoir de mémoire sur les "années de plomb" doit se solder par une vraie remise en question judiciaire et pénale et ceux qui prônent le pardon. Serge Quadruppani, initiateur d'une pétition, remarque « là-bas, la gauche est très partagée. Certains députés ont signé la pétition, d'autres sont très hostiles à ce qui évoque le gauchisme des années 70. Mais le cas de Battisti est intéressant parce qu'il a tourné la page, sans renier le mouvement de révolte qui avait porté des milliers de gens dans la rue ».

HdD

 

En savoir plus :

 

© Francesco Gattoni

"Ce n'est pas vrai que les traits s'assoupissent, l'esprit non plus. Les uns comme l'autre font seulement semblant. Juste pour m'effrayer un peu, rien d'autre. Pas même crédible ce regard court que gifle le sang. Ce n'est qu'une apparence, comme un bruit de murs qui s'écroulent, d'os brisés. Du Hitchcock de seconde main. Même si maintenant, en la regardant, il me paraît incroyable qu'il fut un temps où j'ai cru changer le monde avec une gueule pareille."
C. Battisti

 

Sources : Le Monde, Libération, Mauvais genres, Via Libre 5