Concierge
C'est un écrivain, gagnant sa vie comme concierge
d'immeuble parisien, qui se retrouve aujourd'hui en
prison.
Ubiquité
Cesare Battisti était réfugié
en France depuis 1990 après un long exil au Mexique. Ancien fondateur et leader
d'un groupuscule révolutionnaire, les Prolétaires Armés pour le Communisme
(PAC), il avait, terme des années 70 et d'un engagement armé et clandestin,
rompu avec la doctrine de la violence. Battisti avait déjà fait l'objet d'une
demande d'extradition de la justice italienne en 1990. En mai 1991, la chambre
d'accusation de la cour d'appel de Paris avait donné un avis défavorable à cette
requête et le garde des sceaux d'alors avait renoncé à l'extradition au motif
que Cesare Battisti bénéficiait de ce que les
spécialistes appellent la « jurisprudence Mitterrand » qui garantissait l'asile à tout ancien
activiste italien ayant renoncé à ses activités
violentes et clandestines, ce qui était le cas pour Cesare Battisti. Cette jurisprudence
s'appuyait notamment sur le fait qu'au contraire de la
France, la justice italienne ne rejuge jamais ses condamnés par contumace. Le
procès de Battisti avait, selon ses partisans, été entaché d'irrégularités,
ses principaux accusateurs étant des
« repentis » ayant tout intérêt à charger la mule du romancier en
fuite... D'autre part, deux, parmi les nombreux meurtres
qu'on lui attribuait, auraient été commis le même jour, à la même heure dans deux
villes distantes de plusieurs centaines de kilomètres !
L'arrestation de l'écrivain fait suite à une nouvelle demande d'extradition de la part des autorités italiennes. La doctrine Mitterrand s'était vue remise en cause lors de l'extradition de l'universitaire italien Paolo Persichetti, ancien membre de l'Union des Communistes Combattants.
Ecrivain
Cesare Battisti ne se cachait
pas. Titulaire d'un titre de séjour, il publiait régulièrement des ouvrages pour
la plupart centrés sur un travail de mémoire, sur des vies d'exilés, sur des
feux éteints que l'histoire rallume, sur la vengeance et la mémoire. Il a
également écrit pour la jeunesse. A ceux qui doutent de
la sincérité de son changement de cap, on citera ces quelques mots publiés dès
1988 : « J'ignore le moment précis et les raisons qui m'ont poussé à imprimer un
tournant à ma vie, mais j'ai probablement compris, d'une façon ou d'une autre,
que j'étais arrivé au terminus, et cela a constitué mon salut. J'ai échappé au
boyau mortel dans lequel je m'étais fourvoyé par un simple glissement de l'angle
sous lequel j'observais les choses. »
En France, parmi la communauté des écrivains, cette arrestation connaît un retentissement certain. Il est vrai qu'une bonne part des éditeurs de romans noirs actuels a appartenu à cette mouvance d'extrême gauche qui en a vu plus d'un basculer dans l'action violente et la clandestinité. « A la Gauche Prolétarienne, nous nous sommes posés la question de la lutte armée. Je n'arrête pas de me dire qu'on aurait pu se retrouver dans la situation de Battisti. » avoue Patrick Raynal, directeur de la prestigieuse Série Noire.
Manifestation
Hier, ils étaient
plusieurs centaines, écrivains tels Dan Franck ou Régine Desforges, élus Verts
et PC ou anonymes à manifester devant la prison de la
Santé où Battisti attend l'avis des juges et la décision du ministre de la
Justice. Philippe Sollers présent aux côtés des auteurs
a déclaré « il s'agit d'un déni de justice flagrant,... » Une pétition circule également sur Internet qui a déjà
recueilli plus de 3000 signatures, elle est hébergée par le site Mauvais Genres,
Mecque électronique du polar français, auquel participent Claude Mesplède
et Bernard Strainchamps.
Italie
En Italie, le débat est plus partagé entre ceux
qui pensent que le devoir de mémoire sur les "années
de plomb" doit se solder par une vraie remise en question judiciaire et
pénale et ceux qui prônent le pardon. Serge Quadruppani,
initiateur d'une pétition, remarque « là-bas, la gauche est très
partagée. Certains députés ont signé la pétition, d'autres sont très hostiles à
ce qui évoque le gauchisme des années 70. Mais le cas de Battisti est
intéressant parce qu'il a tourné la page, sans renier le mouvement de révolte
qui avait porté des milliers de gens dans la
rue ».
HdD
En savoir plus :
"Ce n'est pas vrai que les traits
s'assoupissent, l'esprit non plus. Les uns comme l'autre font seulement
semblant. Juste pour m'effrayer un peu, rien d'autre. Pas même crédible ce
regard court que gifle le sang. Ce n'est qu'une apparence, comme un bruit de
murs qui s'écroulent, d'os brisés. Du Hitchcock de seconde main. Même si
maintenant, en la regardant, il me paraît incroyable qu'il fut un temps où j'ai
cru changer le monde avec une gueule pareille."
C. Battisti
Sources : Le Monde, Libération, Mauvais genres, Via Libre 5