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Publié le 17/05/2005
Tristan Egolf, jeune auteur surdoué de trente-trois ans, s'est donné la mort le 7 mai dernier. Il souffrait d'une dépression nerveuse.

Lorsque nous célébrons ici un disparu, il s'agit en général de l'auteur d'une œuvre accomplie. Louanges et souvenirs de circonstances sont donc là pour rappeler ce qui fut dit et écrit par l'illustre et désormais éternel auteur d'un corpus achevé pour l'éternité.

 

Mais voilà que nous vient aujourd'hui la tâche de célébrer l'auteur d'un seul chef d'œuvre, et par la même de pleurer l'absence d'une œuvre ; absente parce que jamais écrite.

Tristan Egolf s'est donné la mort le 7 mai, à Lancaster, en Pennsylvanie, aux USA.

 

Tristan Egolf avait 34 ans. Il était l'auteur de trois ouvrages dont deux seulement avaient paru sous nos longitudes. Parmi ceux là figurait l'extraordinaire Seigneur des Porcheries, saga d'un seul homme : surdoué de la fange qui, tour à tour, connaît succès et faillites dans tout ce qu'il entreprend. Le portrait d'une Amérique peureuse et ultra-normalisante - à mille lieux de la Land of Freedom que l'on nous vante d'ordinaire, aux marges de laquelle tente de se dépatouiller l'un de ses déchets, ce rejeton de la white trash (lumpenprolétariat des cambrousses américaines), John Kaltenbrunner, qui deviendra roi de l'ordure et tiendra ainsi sa ville de Baker au creux de la main. Evidemment, ça finit mal...

 

Le livre a lui aussi son histoire. Celle d'un écrivaillon américain, pauvre globe-trotter, qui gagnait sa vie à Paris en chantant, guitare en bandoulière. Vient à passer la jolie jeune fille qui entend, s'arrête, écoute puis enfin parle. Du dialogue il ressort que le jeune troubadour américain est l'auteur d'un manuscrit refusé par cinquante éditeurs et qu'il est bien en peine. Compatissante, la jeune fille lit le manuscrit et l'aime, le fait lire à papa (coup de bol, c'est Patrick Modiano) qui l'aime aussi et en cause chez Gallimard où l'aime tant et si fort que l'on en acquiert les droits mondiaux. Publié, encensé le roman, célébré l'auteur, tout va donc pour le mieux, l'histoire est belle.

 

Viendront ensuite un second roman dont je ne vous dirai rien : je ne l'ai pas lu – il en va curieusement de même dans la quasi-totalité des articles nécrologiques parus ces jours derniers, à croire que personne, mais absolument personne n'a lu ce livre ! – puis un troisième, achevé mais non publié au moment du suicide de son auteur.

 

Le destin d'Egolf rejoint celui de son Seigneur des porcheries lorsque l'auteur, ardent militant pacifiste entreprend de lutter contre Georges Bush et l'Amérique va-t-en-guerre. De manifs en coups d'éclats - il sera même arrêté pour avoir, lors d'une visite du président américain, formé avec d'autres une pyramide d'hommes en strings – rappel des prisonniers d'Abou Ghraib, il va lutter de toutes ses forces. Enfant marginal d'Amérique, il va à son tour tenter de dévier la roue d'une Histoire plus forte que lui. Avec l'insuccès que l'on sait. Il n'aura hélas pas le destin christique de son héros.

 

Souffrant d'une profonde dépression depuis dix-huit mois, Tristant Egolf s'est donné la mort. Pensons aux jours qu'il aurait pu vivre, aux livres qu'il n'a pas écrits. Pensons à lui.