Il lui échappait depuis dix ans, le voilà couronné :
Michel Houellebecq décroche le prix Goncourt, le plus prestigieux des prix littéraires avec son roman publié chez Flammarion,
La carte et le territoire.
Retour sur les mots de nos libraires, sur le blog de littérature - Ces mots-là, c'est Mollat - au moment de la publication de l'ouvrage du lauréat :
Qui n' a pas imaginé un jour son propre enterrement ? Beaucoup l'ont rêvé, Michel Houellebecq
l'a osé et écrit. Vous pourrez suivre le corbillard qui mènera à sa tombe du cimetière Montparnasse à partir du
8 septembre,
mais aucun cahier de condoléances ne sera ouvert. A force d'entendre
parler de lui, d'être le sujet de tant de polémiques, de se voir dévoré
vivant par ceux pour qui ils n'étaient plus seulement un écrivain dont
on ne juge que les oeuvres mais une cible que ses excès désignaient
facilement aux flèches d'archers parfois bien médiocres, le plus célèbre
des écrivains français contemporains a décidé de se mettre en scène,
sans faux-semblant et sans décodeur, dans un long roman où il interprète
son propre rôle, un second rôle en apparence mais c'est évidemment lui
la tête d'affiche, un peu comme Marlon Brando dans
Apocalypse Now
dont la présence pèse sur toute l'histoire. Le héros du livre est un
peintre, Jed Martin, disons plutôt un plasticien car la peinture ne
couvre qu'une période de sa vie artistique : c'est lui que nous allons
suivre jusqu'à sa mort dans un futur proche, et par son biais nous
allons pénétrer dans la forteresse qui abrite l'écrivain reclus.
L'habileté de Houellebecq est d'avoir choisi une structure classique
qu'il dévoie régulièrement par des allers-retours vers le futur ou des
plongées dans le passé, maître d'un temps qu'il décline avec une fausse
insouciance permettant les jugements les plus acérés sur notre époque et
ce qu'elle nous prépare, et on sait que dans ce domaine il fait des
étincelles, impitoyable dans ses analyses, observateur lapidaire qui
s'éloigne après avoir visé juste et sans aucun doute moins complaisant
pour évoquer la mutation de notre monde à travers le parcours d'un homme
qui rompt avec lui sans violence et sans manière, sincère dans son
jusqu'au-boutisme. Car Jed Martin est un grand créateur mais sans les
calculs que Houellebecq prêterait volontiers à un Picasso : il suit une
ligne, exploite une idée, une obsession en ignorant les avis. Remarqué
pour sa série de photos de cartes Michelin, il entreprend ensuite un
vaste chantier pictural qui culminera avec un portrait de…Michel
Houellebecq, préfacier inattendu du catalogue de l'exposition. Par cette
petite porte dramatique, l'auteur des
Particules élémentaires
s'installe dans un roman qu'il ne quittera plus, malgré tous ses
efforts pour disparaître, noyé dans l'alcool ou la déprime, réfugié en
Irlande ou revenu dans le village de son enfance. Car la disparition est
bien au centre des préoccupations de ce livre pas aussi drôle qu'on
voudra nous le faire croire, non que Houellebecq joue outrancièrement au
réactionnaire (le passé ne paraît pas plus vertueux que l'avenir) mais
il tourne autour du sujet avec une persistance évidente jusqu'à
l'étonnante brutalité de la dernière partie qui se transforme en roman
policier avec scène de crime, Quai des Orfèvres, commissaire Maigret (ou
presque), preuve que l'auteur d'
Extension du domaine de la lutte
peut étendre ses qualités dans toutes les directions y compris celle du
polar et de ses clichés. Le cliché, Houellebecq connaît et maîtrise,
jusqu'à la technique d'ailleurs ; son écriture est souvent
photographique, précise, sans fioriture et s'il jubile ce n'est pas dans
le style, toujours contenu, retenu, direct. Il y aura à craindre qu'on
ne retienne de ce livre somme toute ambitieux que l'écume, ses
incessantes citations de personnages réels (ah l'
outing de Jean-Pierre Pernaut…sa fête mémorable…, les apparitions de son ami
Beigbeder (dont
on apprend incidemment la mort à 71 ans “entouré des siens”…), la
dignité de son éditrice Teresa Cremisi dans les moments les plus
douloureux, etc…), ses règlements de compte avec ceux qui ne l'ont guère
épargné (pauvre Didier Jacob du Nouvel Obs…), l'apparente auto-dérision
dont il semble faire preuve en ne se ménageant guère au risque d'une
certaine complaisance dans le morbide. Mais ce serait évidemment injuste
avec ce livre qui va bien plus loin que la plupart de ses contemporains
toujours prompts à ménager chèvres, choux et carottes. Houellebecq se
permet tout et il n'en abuse pas, c'est un privilège trop rare pour
qu'on n'en profite pas.
La carte et le territoire (chez
Flammarion, maintenant que la parenthèse Hachette est refermée) paraît
dans quinze jours, on espère qu'à défaut d'être défendu ou descendu, il
sera lu jusqu'au bout.
Le prix Renaudot, non moins attendu, a récompensé la réalisatrice et romancière
Virginie Despentes pour
Apocalypse bébé, paru chez Grasset, un road-book où une narratrice, figure même de l'anti-héros, promène le lecteur entre Paris et Barcelone.
Le
Renaudot Poche a par ailleurs été remis à
Fabrice Humbert pour
L'origine de la violence (LGF) et le
Renaudot Essai à
Mohammed Aïssaoui pour son livre sur
L'affaire de l'esclave réunionnais Furcy (Gallimard), qui, trente avant l'abolition de l'esclavage, intentait un procès à son maître pour obtenir sa liberté ! Un cas unique dans les annales de l'Histoire...