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DADAPHILIA#2, Manifeste Dada 1918

Une actualité de Jérémy Gadras
Publié le 13/04/2018
Liberté : DADA DADA DADA, hurlement des couleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences : LA VIE...

Certainement l’un des manifestes les plus denses et des plus vindicatifs de la littérature française, Manifeste Dada 1918 est lu par Tristan Tzara le 23 juillet 1918 au Zunfthaus in der Meise de Zurich. Construit d’anaphores, de parataxes, d’ellipses, d’un va-et-vient entre litotes et hyperboles arrachées à une langue sophistiquée, ce texte est censé mettre à mal l’éloquence grandiloquente du langage bourgeois. Un hurlement sans repentir, acerbe, ironique, destructeur, il impose le mot Dada (cité 14 fois dans le manifeste) comme le rassemblement de quelques forcenés pour la destruction prochaine de l’art et de ses avatars. Ce terme abscons, Dada, devient dès lors le porte-parole des contestations et des subversions littéraires et artistiques de jeunes artistes, sème avec lui ses vindicatives allégations sur le monde entier, espérant que du néant naissant sous son étendard zurichois, naisse une nouvelle ère esthétique libre sur les cendres d'anciens canons artistiques.

Si le premier manifeste de Tristan Tzara était bien moins brutal et véhément (Le manifeste de monsieur antipyrine lu à la première manifestation Dada à Zurich le 14 juillet 1916), le Manifeste Dada 1918 changera définitivement le destin du mouvement vers des convictions et actions plus politiques, engagera ses protagonistes dans tous les domaines de l’art et dans toutes les luttes esthétiques et sociologiques. Publié en décembre 1918 dans le troisième numéro de la revue Dada3, ce manifeste allait bientôt bouleverser toute l’histoire des avant-gardes mondiales, enflammer l’Allemagne, la France, la Russie, l’Espagne, l’Italie, mais également l’Amérique. De simples mots qui font balles, certes, mais dans l’éphémère d’un courant foutraque et passablement admiré de son temps, ils trouèrent toutes les conventions, les logiques, les saintes orthodoxies idéologiques du début du siècle. L'un des manifestes Dada qui quelques années plus tard allait former de futurs esprits anticonformistes : du Lettrisme à l’Internationale Situationnisme, de Cobra à Fluxus…

En vous invitant à lire l’intégralité de ce manifeste déterminant, nous vous en proposons quelques extraits, qui nous l’espérons, contiennent toute la verve, la substance poétique, la beauté folle de cette révolution verbale et assassine qui fête ses 100 années ! :

             [...]

Ordre = désordre; moi = non-moi; affirmation = négation : rayonnements suprêmes d'un art absolu. Absolu en pureté de chaos cosmique et ordonné, éternel dans la globule seconde sans durée, sans respiration, sans lumière, sans contrôle. […] Nous avons bousculé le penchant pleurnichard en nous. Toute filtration de cette nature est diarrhée confite. Encourager cet art veut dire la digérer. Il nous faut des oeuvres fortes, droites, précises et à jamais incomprises. La logique est une complication. La logique est toujours fausse. Elle tire les fils des notions, paroles, dans leur extérieur formel, vers des bouts, des centres illusoires. Ses chaînes tuent, myriapode énorme asphyxiant l'indépendance. Marié à la logique, l'art vivrait dans l'inceste, engloutissant, avalant sa propre queue toujours son corps, se forniquant en lui-même et le tempérament deviendrait un cauchemar goudronné de protestantisme, un monument, un tas d'intestins grisâtres et lourds.

             […]

Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif, à accomplir. Balayer, nettoyer. La propreté de l'individu s'affirme après l'état de folie, de folie agressive, complète, d'un monde laissé entre les mains des bandits qui déchirent et détruisent les siècles. Sans but ni dessein, sans organisation : la folie indomptable, la décomposition. […] Je proclame l'opposition de toutes les facultés cosmiques à cette blennhorragie d'un soleil putride sorti des usines de la pensée philosophique, la lutte acharnée, avec tous les moyens du

                                                                                                                                   DÉGOÛT DADAISTE

Tout produit du dégoût susceptible de devenir une négation de la famille, est dada ; protestation aux poings de tout son être en action destructive : DADA ; connaissance de tous les moyens rejetés jusqu'à présent par le sexe publique du compromis commode et de la politesse : DADA ; abolition de la logique, danse des impuissants de la création : DADA ; de toute hiérarchie et équation sociale installée pour les valeurs par nos valets : DADA; chaque objet, tous les objets, les sentiments et les obscurités, les apparitions et le choc précis des lignes parallèles, sont des moyens pour le combat : DADA; abolition de la mémoire : DADA; abolition de l'archéologie : DADA; abolition des prophètes : DADA; abolition du futur : DADA; croyance absolue indiscutable dans chaque dieu produit immédiat de la spontanéité : DADA; saut élégant et sans préjudice d'une harmonie à l'autre sphère; trajectoire d'une parole jetée comme un disque sonore cri; respecter toutes les individualités dans leur folie du moment : sérieuse, craintive, timide, ardente, vigoureuse, décidée, enthousiaste; peler son église du tout accessoire inutile et lourd; cracher comme une cascade lumineuse la pensé désobligeante ou amoureuse, ou la choyer — avec la vive satisfaction que c'est tout à fait égal — avec la même intensité dans le buisson, pur d'insectes pour le sang bien né, et doré de corps d'archanges, de son âme. Liberté : DADA DADA DADA, hurlement des douleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences : LA VIE.

Tristan Tzara           

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