À l’approche de la fête des morts, alors que les jours s’assombrissent et que les nuits s’allongent, nous vous proposons de saisir ce moment propice pour se pencher sur un thème plein de mystères : l’invisible.
L’invisible a de tout temps été objet de fascination pour l’humanité, comme si nous n’avions jamais pu nous résoudre à penser que le monde se limitait à ce qu’il nous donnait à voir. Très tôt, les rites funéraires témoignent d’un souci de ce qu’il adviendra du défunt alors qu’il poursuit son parcours dans l’autre vie ; de même, les croyances animistes s’attachent à déceler l’âme matérialisant sa présence dans le monde tangible ; et lorsque les yeux se tournent vers les étoiles, c’est pour tenter de deviner l’influence qu’elles peuvent avoir sur nos existences…
L’invisible se dérobe au regard, par quoi il fascine et se prête à l’un de nos jeux favoris les plus anciens : celui de deviner ce qu’il cache, comme si notre intuition profonde nous empêchait sans cesse de nous contenter de ce qui est là, sous nos yeux, comme si nous étions persuadés qu’il y a toujours autre chose.
Nous aurons compris qu’une immense partie du grand tout échappe à notre perception immédiate et naturelle. Impossible pour l’être humain, sans l’aide de nombre d’outils et d’artifices, d’appréhender les incroyables mécanismes à l'œuvre au cœur d’un arbre, dans l’infiniment petit ou dans l’infiniment grand. Mais il ne s’agit pas seulement de s’intéresser à ce que nous pouvons ou non voir, ici et maintenant. Notre rapport au visible et à l’invisible n’est pas que pragmatique : c’est un aussi le terreau fascinant d’une réflexion ontologique, d’une phénoménologie de l’existence et d’une littérature foisonnante sur la question de savoir si l’on peut se fier au visible ou s’en remettre à l’invisible… La philosophie, les sciences, l'art ou encore la religion ne cessent de repenser les passerelles entre les deux.
À l’invisible s’adjoignent des notions, temps et espaces voisins.
La nuit, bien sûr, car la frontière entre visible et invisible n’est jamais plus poreuse que dans l’absence de lumière. Avec la nuit le silence, et revoici tout le mystère de ce qu’on ne peut voir ni entendre, tout en étant persuadé qu’il y a quelque chose. Il est alors possible, dans ces interstices, de laisser planer le mystère et le doute que nous procurent des perceptions fugaces se prêtant à la spéculation. La nuit, lorsque les masques tombent, est aussi le moment où se révèle ce qui ne peut habituellement être vu…
L’absence, aussi, qui est une des multiples manifestations de l’invisible. Ce qui n’est pas là n’existe presque pas et nombre de drames silencieux se déroulent dans cet invisible là, celui que personne ne dit, n’entend ou ne voit. Y réside le récit des oubliés et des ignorés qui, pourtant, existent bel et bien dans l’indifférence du monde. Mais ce peut être également, pour le croyant égaré ou en proie au doute, celui de l’absence d’un Dieu dont il ne ressent plus la présence. Dieu, qui par nature pourtant ne peut être vu, se fait alors plus invisible que l’invisible.
On ne s’étonnera donc pas que la fiction se soit emparé du sujet : le mystère n’est-il pas un des ingrédients essentiels des meilleures histoires ? La littérature est un prisme de lecture privilégié de l’invisible car elle puise dans les mêmes ressources que les autres disciplines : la curiosité et l’imagination. Fleur Hopkins-Loféron, qui s’est penchée sur l’histoire visuelle du mouvement merveilleux-scientifique, en sait quelque chose…