Un coup de coeur de Mollat
Les premiers mots de Janet Malcolm dans Le journaliste et l'assassin donnent le ton. Cette contre- enquête sur l'affaire McDonald/McGinniss pour la première fois traduite en français et qui vient de paraître aux éditions J'ai Lu s'inscrit dans la lignée de L'Adversaire d'Emmanuel Carrère ou de De sang froid de Truman Capote. Mais à la différence de ces récits de non-fiction, Janet Malcolm ne se limite pas à écrire sur une affaire criminelle, elle interroge ici la morale dans l'enquête journalistique. Qu'est-ce qu'un sujet ? Jusqu'où peut aller un journaliste ? Quels devoirs moraux engage-t-il envers les personnes interviewées ? Est-ce que, comme l'a écrit la journaliste et écrivain américaine Joan Didion, "écrire, c'est toujours trahir quelqu'un" ?
En février 1970, le docteur Jeffrey MacDonald est accusé du meurtre de sa femme de 26 ans et de ses deux filles, Kimberly (5 ans) et Kristen (2 ans). Les accusations sont lourdes, mais les éléments à décharge le sont aussi. Un premier procès l'innocente, mais un second s'ouvre en 1971. C'est à ce moment-là que commence la relation entre MacDonald et le journaliste et écrivain en perte de vitesse McGinniss. Tous deux passent un contrat en vue de la publication d'un livre sur cette affaire. Les deux partis se réjouissent : d'un côté MacDonald espère de cette publication qu'elle proclamera son innocence, comme elle viendra aussi renflouer ses caisses ; les procès coûtent chers, et le contrat passé stipule qu'il touchera un gros à-valoir ainsi qu'un tiers des droits d'auteur. D'un autre côté McGinnis obtient l'exclusivité sur l'affaire -retentissante- et se réjouit d'avance du "gros coups" médiatique qui pourrait relancer sa carrière.
Les deux hommes vont peu à peu entretenir une relation amicale très forte, jusqu'à l'annonce du verdict : coupable, MacDonald est condamné à la prison à perpétuité. S'ensuit une correspondance entre McGinniss et lui. Le livre rapporte certains extraits de cette correspondance, où l'on peut lire le désarroi du journaliste, son soutien, sa peine de voir son ami injustement condamné. Et c'est là où le bât blesse : lorsqu'au bout de quatre ans Fatal Vision sort enfin (1983), MacDonald n'en croit pas ses yeux. Le livre démontre point par point sa culpabilité, le présentant comme un pervers psychopathe. Comment son ami a-t-il pu ainsi le trahir ?
Le livre de Malcolm, journaliste au New Yorker, s'intéresse à la suite de cette histoire. De sa prison, MacDonald intente un procès à McGinniss pour diffamation et abus de confiance. Cette affaire inédite ne se réduit pas à la défense des deux parties, elle s'élève au questionnement sur la déontologie d'un certain type de journalisme.
Le journaliste et l'assassin met le doigt sur un engrenage extrêmement complexe où la justice, la morale, la littérature, la liberté de la presse, la vérité sont discutées et bouleversées. Un livre en forme de point d'interrogation dont la lecture vous hante. Paru en 1990 aux États-Unis, Le journaliste et l'assassin est la somme des articles publiés dans le New Yorker par Janet Malcolm sur cette histoire. Livre culte, il est aujourd'hui étudié dans les écoles de journalisme et dans les cursus de creative writing.