Un coup de coeur de Anaïs
Endetté comme une mule ou la passion d'éditer (qui a failli s'appeler Gai comme un pensum) nous prévient : éditer n'est pas un métier. Ce n'est pas un métier, mais Losfeld l'a pratiqué plus de vingt ans. Lui dont le nom flamand signifie terrain vague (une librairie rue du Cherche-midi et une maison d'édition furent baptisées ainsi, sur une idée de Breton), vient aujourd'hui vous secouer les puces avec ses mille et une aventures.
Je vous parle d'un temps que les moins de (?) ne peuvent pas connaître.
Un temps où l'on peut s'appeler Éric Losfeld, où l'on peut prendre rendez-vous avec André Breton 42 rue Fontaine pour lui demander une préface et raconter des années plus tard : "Entre le moment où j'ai frappé à sa porte, et l'instant où il m'a ouvert, je fus pris d'une espèce de malaise, d'une sorte de perte totale de conscience, bref n'ayons pas peur des mots, je me suis évanoui".
Un temps où l'on faisait des fiestas chez Gallimard, où l'on pouvait croiser Hemingway, qui hésita entre jouer au coup de poing avec vous ou siffler des whiskys (c'est le whisky qui l'emporta et vous le mettez, hilare et saoul, dans un taxi et ne le reverrez plus jamais.) "La seule littérature qui me touche, c'est la littérature écrite avec passion, ou plutôt la littérature passionnée. Je me méfie des mots qui ont trop servi ; à ces mots je préfère les images, et, parmi elles, les images pures, surtout quand elles ne sont pas innocentes."
Losfeld c'est aussi l'homme à procès -un club que Jean Jacques Pauvert ne tardera pas à rejoindre- celui qui vend par correspondance des textes érotiques dans un écrin bel oeuvre. À ses procès, Jérôme Lindon (éditions de Minuit), Gallimard et quelques auteurs fameux viennent plaider en sa faveur.
Et qui se souvient que Barbarella de Vadim est en fait tiré d'une bande dessinée de Jean-Claude Forest publié chez Losfeld ? Nous lui devons la découverte et la réédition de livres magnifiques : Qu'est-ce que Thérèse ? C'est les marronniers en fleurs de José Pierre, La Gana de Jean Douassot (Fred Deux), Albert Cossery (que sa fille, Joëlle Losfeld publiera dans sa précieuse collection Arcanes).
"Quand ce livre apparaîtra en vitrine des librairies, je suppose que 50% des acheteurs virtuels ne connaîtront pas mon nom (ça, c'est normal). 43% diront "Tiens, c'est l'éditeur porno, ça doit être croustillant", 5% diront : "Ah, Losfeld ! c'est l'éditeur qui a sorti deux ou trois bouquins rigolos!" Et 2% seulement se souviendront que je suis un éditeur surréaliste".
Endetté comme une mule est peut-être l'un des meilleurs livres lu depuis ce début d'année. Polissonnes, taquines, érudites, sympathiques, ces mémoires on le don de vous faire découvrir la littérature et l'édition des années soixante dans un grand éclat de rire.
Une pépite, et un grand merci aux éditions Tristram !