Un coup de coeur de Mollat
Nous sommes transportés entre deux conflits : à peine la Seconde Guerre mondiale est-elle officiellement finie, continuant à hanter tous les esprits que le conflit algérien frappe à la porte pour recruter de nouvelles proies, parmi lesquelles Daniel Delbos, mécano de 20 ans rêvant de cinéma et orphelin depuis que ses parents l'ont sauvé in extremis avant de disparaître en déportation quinze ans auparavant. Comme ses aînés, il apprendra malgré lui à tuer, aveuglé par l'éblouissant soleil de cette lointaine province et la folie d'hommes qui éprouvent la même terreur puisque « à la guerre, on est tous pareils ».
L'Histoire se répète, inlassable, impitoyable y compris sous le masque de la respectabilité de ceux qui ont échappés à l'épuration. Hervé Le Corre campe magistralement un de ces « salauds tranquilles » du nom d'Albert Darlac, flic collabo devenu commissaire n'hésitant pas à torturer sa femme et ses ennemis - comme d'autres en Algérie - pour mettre la main sur un imprévisible tueur qui semble s'en prendre à de vieilles connaissances, anciens membres de la SAP (équivalent bordelais de la Gestapo) et menace jusqu'à sa fille chérie.
« A la guerre comme à la guerre » : une traque mutuelle et acharnée s'engage entre le flic pourri et l'homme de l'ombre jusqu'à provoquer, « remugle des temps maudits », neuf meurtres en dix mois. Et si les morts revenaient du fond de cette nuit sans étoiles ni Dieu afin de régler les comptes de guerres, plus intimes, qui ne passent pas ?
Moraliste discret sans jamais être moralisant, Hervé Le Corre donne la parole aux oubliés comme dans son précédent roman (Les cœurs déchiquetés) ou son recueil de nouvelles (Derniers retranchements). Dans une langue qui épouse l'argot des années 50 tout en s'élevant vers un lyrisme poignant, Après la guerre oscille entre rage, désespoir et mélancolie, offrant un récit inoubliable à l'instar des poèmes qui scandent continuellement le récit. Rimbaud, Baudelaire, Hugo, Aragon sont les frères d'arme de Daniel à l'égal des inoubliables personnages « secondaires » qui les lui récitent : Robert Autin, Abel Mayou, le couple de ses parents adoptifs Maurice et Roselyne, Daniel et Giovanni les compagnons d'agonie en Algérie, sans oublier Irène, l'âme-sœur. Ces vers récités au cœur de l'horreur ou les notes griffonnées dans ses cahiers par le mystérieux André Vaillant résonnent alors comme des éclats de mémoire, leçon de ténèbres et de lumière transmise par-delà le chaos de l'Histoire.