Un coup de coeur de Marie-Aurélie
Née de deux parents avocats, Alexandria Marzano-Lesnevich se passionne tôt pour le droit. En 2003 elle devient stagiaire pour le cabinet qui défend Ricky Langley, et alors que cette affaire stoppe là sa carrière dans le droit, elle va bouleverser les certitudes d’Alexandria.
Outre l’héritage familial, Alexandria s’est tournée vers la justice avec une profonde conviction : elle est contre la peine de mort. Et en ce sens, elle se sent prête à défendre les clients les plus abjects afin de leur éviter la chaise électrique ou l’injection létale. Arrivant donc à son stage en Louisiane en 2003, on lui présente une vidéo de Ricky Langley à l’époque du procès de 1992, et malgré sa sincère implication contre la peine de mort, Alexandria se surprend à désirer intensément la mort de Langley. S’engage alors une obsession salvatrice de Marzano-Lesnevich pour l’affaire, la victime et la mère de la victime, jusqu’à ce que l’obsession, si ce n’est l’identification, se déplace sur le coupable, Ricky Langley.
Dans un terrible jeu de miroirs, Alexandria Marzano-Lesnevich retrace l’affaire Langley/Gallory, notamment au travers de la vie de Ricky mais surtout l’auteur évoque sa propre vie, sa propre famille et sa propre tragédie et comment la confrontation de son histoire et de cette affaire criminelle lui ont permis de questionner tout autant le système pénal américain, l’existence de la peine de mort, la puissance de la narration et la notion de famille.
« Ce qui m’a tant séduite dans le droit il y a si longtemps, c’était qu’en composant une histoire, en élaborant à partir des événements un récit structuré, il trouve un commencement, et donc une cause. Mais ce que je ne comprenais pas à l’époque, c’est que le droit ne trouve pas davantage le commencement qu’il ne trouve la vérité. Il crée une histoire. Cette histoire a un commencement. Cette histoire simplifie les choses, et cette simplification, nous l’appelons la vérité.[…] Quelle que soit la nature des événements passés, le récit s’est chargé de les réécrire sans vergogne. Le récit est devenu la vérité. Ce que vous voyez dans le meurtre de Jeremy par Ricky, j’en suis convaincue désormais, dépend autant de qui vous êtes et de la vie que vous avez vécue que de l’acte lui-même. Mais la narration judiciaire efface cette étape. Elle efface son origine. »
Le travail d’ Alexandria Marzano-Lesnevitch n’est pas sans rappeler les questionnements de Janet Malcom sur la justice américaine dans Le journaliste et l’assassin, et surtout, la démarche du texte remarquable de Maggie Nelson, Une partie rouge.
L’horreur du témoignage personnel de Marzano-Lesnevitch et la sordide réalité du meurtre de Jeremy Gillory constituent une expérience profondément éprouvante ; mais, l’intelligence de la réflexion sur le droit américain, la capacité à sortir de sa subjectivité pour faire exister autant la victime que le bourreau et le regard incroyablement beau que l’auteur porte sur la famille (la sienne, comme celles des Gillory et des Langley) font de L’empreinte un texte viscéral et nécessaire.