Un coup de coeur de Jean-Baptiste G.
Dans sa quête d'un savoir rationnel, servie par une rigueur méthodologique, l'Histoire a parfois dévié vers un rationalisme sectaire et politique cherchant à rendre le passé immuable pour mieux définir le présent. Au service d'institutions diverses cette histoire officielle devient alors régulièrement un outil d'aliénation et de domination dont les traditions autonomes sont les premières victimes. Ainsi, comme le souligne si justement García Calvo « […] ce qu'il pouvait y avoir de tradition dans les peuples, une fois brisé et perdu, se voit remplacé dans les querelles nationalistes et dans la littérature qui les appuient par la connaissance de l'Histoire des peuples, c'est-à-dire par l'idée du peuple correspondant à celle que l'Histoire a figée. »
Sans tomber dans un discours apologétique le philosophe montre que la Tradition s'incarne par une culture de l'oral et souvent populaire qui n'obéit pas, comme on le pense trop souvent, à un passéisme obscure. Pour appuyer son propos, García Calvo s'appuie sur la culture grecque ancienne qu'il a longtemps traduite et étudiée. Cette notion fait complète abstraction du passé et du futur au sens d'une temporalité linéaire. Elle vit dans la plupart des cas un éternel présent que la société, par ses arts, ses rituels et sa nature ne fait que réactualiser. La vérité, non aux mains du politique mais de la collectivité, n'a ici ni à être cherchée ni démontrée : elle est.
La Tradition comme une mémoire intuitive, pratique et créative se confronte donc dans ce livre à une Histoire vindicative et politique. Dans cet ouvrage stimulant Agustín García Calvo se fait l'avocat du diable et pose les bases d'une critique constructive de cette « littérature contemporaine » qu'il convient malgré tout de chérir.